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AURIOL RAMÈNE L’ESSENCE À L’EXISTENCE

« D’autres, poursuit Auriol, ont dit : De même que l’existence est considérée tantôt comme en acte et tantôt connue en puissance, ainsi en est-il de l’essence ; l’essence ne demeure donc pas quelque chose de positif lorsqu’elle n’existe pas d’une manière actuelle ; alors, elle est seulement en puissance. Cela suffit à expliquer… comment il peut y avoir science de choses [qui n’existent pas d’une manière actuelle]… Il peut y avoir science des choses et. des essences qui subsistent seulement en puissance… parce que les essences demeurent alors en leurs principes. » Ici nous reconnaissons la théorie de Godefroid de Fontaines et de Gilles de Rome.

« D’autres enfin ont prétendu que les essences des choses ne subsistent pas lorsque les choses elles-mêmes n’existent pas ; de ces choses inexistantes, il n’y a plus de véritable science ; la chose une fois détruite, la science en est détruite ou, du moins, elle n’est plus aussi parfaite qu’au temps oii la chose existait d’une manière actuelle. »… Si l’on dit : la rose est rouge, alors qu’il n’existe ni rose ni couleur rouge, il est clair que cette proposition est fausse. » Ce sont les propos de Siger de Brabant et de Roger Bacon dont Auriol atténue cependant quelque peu la brutale netteté.

Auriol commence par déclarer que « les essences des choses ne subsistent pas en elles-mêmes, d’une manière positive, les existences de ces choses une fois détruites ; elles ne sauraient donc être éternelles… L’existence essentielle et l’existence actuelle sont même chose, non seulement en réalité, mais même pour la raison. » G’est rejeter formellement la doctrine d’Henri de Gand et, a fortiori, celle de Saint Thomas d’Aquin.

Mais cette proposition, qui nie toute distinction entre l’essence et l’existence « n’empêche aucunement qu’il 11e puisse exister une véritable science des choses, que l’on ne puisse, au sujet de ces choses, formuler des propositions vraies, que ces mêmes choses ne puissent prendre place parmi les prédicaments. Il faut considérer. en eltet, que si les divers prédicaments conviennent aux choses, ce n’est pas parce que celles-ci sont en puissance de l’existence actuelle. Ce qui n’est point, pour la science, objet de considération, ce qui est, pour elle, un accident, ce qui est hors de l’intention de celui qui construit la démonstration, cela ne saurait donner aux choses la propriété d’être connaissables, d’être objets de science. Or l’existence actuelle ou potentielle des choses est étrangère à l’intention de celui qui connaît et démontre. Celui qui démontre cette propriété du triangle d’avoir trois angles dont la