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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

cas, cette double répugnance empêche d’associer l’existence à la chose soit dans l’esprit, soit dans la réalité.

À la possibilité logique ou à l’impossibilité logique d’une chose, il serait absurde de chercher une raison d être en remontant plus haut, en recourant à quelque existence en puissance subjective ou objective. Telle chose est possible ou impossible simplement parce qu elle est telle chose ; ce que cette chose est formellement, ce qu’elle est en tout esprit qui la conçoit, est la raison ultime de la non-répugnance ou de la répugnance entre cette chose et l’existence.

Telle est la doctrine absolument nette et tranchée de Duns Scot.

Elle apparaît comme la revanche du sens commun secouant le joug auquel le Péripatétisme avait, depuis si longtemps, soumis l’esprit humain.

Le Péripatétisme est né du désir de glisser un moyen terme entre les deux termes opposés de ce dilemme : être ou ne pas être. Entre le non-être et l’existence proprement dite, actuelle, individuelle et réelle, Aristote avait mis l’existence en puissance, l’existence matériel Le.

À l’existence en puissance du Péripatétisme, Jean Philopon avait substitué l’existence d’une chose dans les causes qui la peuvent produire. Le Néoplatonisme d’Avicenne et d’Al-Gazâli avait imaginé l’existence possible de l’essence que la cause créatrice transformait en existence nécessaire. Thomas d’Aquin et Henri de Gand avaient, de diverses laçons, interposé cette existence essentielle entre le non-être et l’existence actuelle.

Avec une impitoyable rigueur, Jean Duns Scot anéantit toutes ces formes atténuées d’existence que les diverses philosophies avaient mises entre l’être et le non-être. Déjà Henri de Gand avait déclaré que l’existence purement en puissance considérée par Aristote était, tout simplement, une non-existence ; aujourd hui, Scott refuse d’admettre l’existence essentielle quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente. Il ne veut reconnaître qu une seule qu’admette le sens commun. Hors de cette existence-là, il n’y a que le non-être, apanage également départi aux choses pospas que cette chose possède une existence de quelque sorte que ce soit.

Al-Gazâli avait déjà, aux doctrines diverses des philosophes