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L’ESSENCE RAMENÉE À L’EXISTENCE

répugne à la chimère et ne répugne pas à l’homme, il n’v en a pas d’autre que ceci : L’homme est l’homme, et la chimère est la chimère, et il en est de même en toute intelligence qui conçoit l’homme ou la chimère. Car, nous l’avons dit, tout ce qui répugne formellement à une chose, [c’est-à-dire en toute intelligence qui conçoit cette chose], tout cela lui répugne aussi en soi ; et ce qui ne répugne pas formellement à une chose ne lui répugne pas uon plus en soi.

» Et n’allons pas nous imaginer que cette affirmation : C’est quelque chose, ne répugne pas à l’homme parce que l’homme est un être en puissance, tandis qu’elle répugne à la chimère parce que la chimère n’est pas un être en puissance. C’est bien plutôt le contraire qui est vrai. Il ne répugne pas à l’homme d’être quelque chose ; l’homme est donc possible, de puissance logique ; cela répugne à la chimère ; la chimère est donc impossible par impossibilité logique. C’est cette possibilité logique qui a pour conséquence la possibilité objective, et cela parce qu on admet la toute puissance de Dieu qui s’étend à tout ce qui est logiquement possible. Toutefois, cette possibilité logique demeurerait isolément et par elle-même, alors même qu’on admettrait, par impossible, qu’aucune puissance objective ne lui correspondît.

» De ce fait, donc, que l’existence ne répugne pas à l’homme, ni d’une manière réelle, en la nature des choses, ni d’une manière conceptuelle en l’intelligence, la première de toutes les raisons, raison irréductible à toute autre, c’est que l’homme est formellement homme. Et la première des raisons pour lesquelles l’existence répugne à la chimère, c’est qu elle est chimère en tant que chimère.

» Cette négation, donc, qui pose la non-existence (nihileitas) ne convient pas de la même manière à l’homme durant l’éternité [antérieure à la création] et à la chimère. Mais la chimère n’est pas, par là, plus complètement rien du tout (magis nihil) que n’était l’homme. »

En résumé, certaines choses sont, et d’autres ne sont pas. Entre celles qui ne sont pas, on ne saurait marquer divers degrés de non-être ; elles sont toutes également des néants.

Une chose qui n’est pas est logiquement possible ou logiquement impossible. Dans les deux cas, elle est également privée de toute existence ; mais, dans le premier cas, il ne répugne pas à la notion de cette chose d’être conçue comme existence et, partant, l’existence réelle ne répugne pas à cette chose ; dans le second