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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

n’existe pas d’une manière actuelle peut être possible ou impossible ; mais l’impossible est plus complètement non-être, plus parfaitement néant que le pur possible ; cela ne saurait être si le possible privé d’existence actuelle ne possédait cependant un certain mode d’existence qui est refusé à l’impossible ; ce mode d’existence, c’est l’existence essentielle. On voit qu’en niant toute distinction, soit réelle soit d’intention, entre l’existence actuelle et l’existence essentielle, on serait conduit à une conséquence contradictoire. Alors, en effet, « si ce qui est possible serait un pur néant ou un pur non-être et ce qui est purement impossible serait aussi un pur néant ; celui-ci ne serait pas plus complètement néant que celui-là, ce qui semble absurde ; le possible n’est, donc pas un néant absolu ; c’est un certain être. »

On peut chercher à préciser davantage cette manière d’être qui convient au possible ; on peut dire que le possible se distingue de l’impossible en ce qu’il existe en ses causes ; un homme qui n’existe pas encore d’une manière actuelle est, cependant, moins inexistant qu’une chimère, car il y a des causes qui sont capables de produire cet homme, il n’y en a pas qui puissent engendrer une chimère. On arrive ainsi soit à assimiler soit à substituer à l’existence essentielle cette existence qu’une chose possible possède au sein des causes qui la peuvent produire, cette existence que Jean Philopon regardait comme la véritable existence en puissance, que Guillaume Varron nommait existence en puissance objective. Glissant sur une pente où Godefroid de Fontaines l’avait, en quelque sorte, poussé, Gilles de Rome avait attribué à cette existence en puissance objective une part des caractères que Thomas d’Aquin et Henri de Gand attribuaient à l’existence essentielle.

De toute cette théorie, Jean de Duns ne veut absolument rien garder. Cette proposition : la chimère n existe pas, ne dit absolument rien de plus que cette autre : l’homme n’existe pas ; si l’homme n existe pas, il n’est pas moins un néant (pie la chimère. « Pendant toute l’éternité [qui a précédé la création de l’homme], il a appartenu à l’homme de ne pas être quelque chose ; il appartient de même à la chimère de ne pas être quelque chose. Seulement l’affirmation qui consiste à dire : c’est quelque chose, ne répugnait pas à l’homme ; la négation de l’existence lui convenait seulement en ceci qu’elle niait l’acte ou la cause qui lui eût conféré l’existence. Au contraire, cette même affirmation répugne à la chimère, car aucune cause ne saurait faire qu elle soit quelque chose. Quant à la raison pour laquelle cette affirmation