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SCOT RÉDUIT L’ESSENCE À L’EXISTENCE

Duns Scot trouve qu il n’y a rien, en cette analyse, qui soit véritable[1].

« Ce n’est pas seulement l’existence essentielle, c’est aussi l’existence actuelle qui est le fondement d’un tel rapport entre la créature et Dieu. Selon Saint Augustin, en effet, Dieu ne connaît pas de deux manières différentes les choses qui sont déjà créées et celles qui doivent être créées ; il prévoit [de toute éternité] l’existence actuelle aussi bien que l’existence essentielle ; personne, cependant, n’admettra qu’en vertu de ce rapport, l’existence actuelle a été de toute éternité une existence réelle et véritable ; des lors, il n y a pas plus de raison pour 1 admettre au sujet de l’existence essentielle.

» D’ailleurs, tous les motifs que l’on invoque pour démontrer que l’intelligencc divine [confère une manière d’existence à l’essence qu’elle conçoit,] on pourrait également les invoquer au sujet de notre intelligence, » Il semble bien, d ailleurs, que telle ait été l’intention de Thomas d’Aquin et. d’Henri de Gand ; maintes lois, ils ont déclaré explicitement ou donné implicitement à entendre que l’esse essentiæ, l’existence essentielle, c’est la manière d’être qu’a l’essence en notre esprit. « En effet, lors même qu’une chose n existe pas, nous pouvons la concevoir, et nous en pouvons concevoir soit l’essence, soit l’existence ; cependant, on n admettra pas que, par l’effet de l’idée que nous avons conçue, cette chose ait une véritable existence actuelle non plus qu’une véritable existence essentielle. »

Il n y a donc aucune existence essentielle distincte de l’existence actuelle. « On appelle être bien déterminé (ens fatum), dit Duns Scot, toute chose qui a une existence ferme, une existence vraie, soit essentielle, soit actuelle, car l’une de ces existences ne se rencontre pas sans l’autre de quelque manière qu’on les veuille distinguer. — Ens rattini appellatur illud quod habet esse firmum sine altero, qualitercunque distinguant. » On ne saurait dire plus formellement qu’entre l’essence et l’existence, il n’y a ni la distinction réelle que Thomas d’Aquin traçait ni la distinction tion de raison.

Une autre voie semble s’ouvrir, qui conduirait à poser une existence essentielle différente de l’existence actuelle. Ce qui

1. foANNis Duns Scoti Smpta/n Qaso/ueftse, Lib. I, Dist. XXXVI, quæst. unica. En cette question, Maurice du Port signale un long développement comme interpolé ; nous nous sommes gardé d’en faire état.

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