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DUNS SCOT ET HENRI DE GAND

écrit le Docteur Subtil[1], il n’v a pas de substance commune,…. encore qu’il soit vrai de dire qu elle existe si l’on se place au point de vue de la Logique. »

« Il est certain, écrit-il encore[2], que la matière première n’est pas, en toutes les choses qui sont pourvues de matière, une d’unité réelle et déterminée… Si elle est une en toutes les choses pourvues de matière, c’est d’une certaine unité universelle, d’une unité de raison, parce que la notion (ratio) de cette matière-ci et de cette matière-là est la même, comme il y a une même notion de cet homme-ci et de tous les hommes ; cependant tous les hommes ne sont pas un seul homme doué d’unité réelle…

» La subdivision numérique n’atteint pas la matière première en son essence, niais seulement en son existence ; or, au point de vue de son existence, la matière n’est pas la même en toutes choses. »

Nous avons maintenant, de la doctrine de Duns Scot, une vue d’ensemble ; nous la pouvons désormais comparer à une autre doctrine dont elle a, au plus haut point, subi l’influence ; nous voulons parler de la doctrine d’Henri de Gand.

Selon Henri de Gand, cc qui constitue l’existence d’un être en constitue, en même temps, l’unité ; le principe d’individuation, c’est l’existence même ; volontiers donc, Henri eût donné à l’existence le nom d’hœccéité.

Si l’on établit cette équivalence entre l’existentia ou l’esse existentiæ que considère Henri de Gand et l’hæcceitas dont traite Jean Duns Scot, on trouvera tout aussitôt mainte occasion de rapprocher les propos de ces deux docteurs ; les rapprochements seront si nombreux et si étroits qu’un lecteur superficiel pourrait être tenté de prendre Jean de Duns pour un disciple d’Henri.

Ce lecteur aurait raison jusqu’à un certain point, car la Métaphysique de Jean de Duns doit beaucoup à la Métaphysique d’Henri ; mais il n’aurait raison que jusqu’à un certain point, car entre les pensées de ces deux maîtres, il y a une divergence essentielle ; elles ne s’accordent point touchant la distinction entre l’essence et l’existence.

Pour Henri de Gand, il n’y a pas entre l’essence et l’existence la distinction réelle que traçait Thomas d’Aquin, car ni dans la réalité ni dans l’esprit, l’existence ne peut être posée sans l’es— 1 2

1. Joannis Duns Scoti Expositio metaphysicæ Aristotelis, Lib. VII, Summa II, Cap. XIV.

2. Joânnîs Duns Scoti Qiiæstiones disputatæ de primo rerum principto, Quæst. XXj art. I.

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