Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/386

Cette page n’a pas encore été corrigée
376
THÉORIE DE L’INDIVIDUALITÉ

universelle et l’hœccéité ne sont pas deux choses, qu’elles sont seulement deux réalités et que la distinction qui les sépare est purement formelle.

Pour comprendre le sens exact de ces propositions, il convient d’avoir présent à la mémoire le conceptualisme très net que le Docteur Subtil affirme en toutes circonstances. « L’universel n’existe pas en acte, dit-il[1], ailleurs que dans l’intelligence. L’universel en acte, en effet, c’est ce qui est un en des choses multiples et qui, en son unité, provient de ces choses multiples, de telle sorte qu’en chacune de ces choses, il y ait une aptitude prochaine à cet universel en acte… » « Il faut bien comprendre, dit-il encore[2], que l’universel complet, c’est ce qui est en des choses multiples et dérive de ces choses multiples, non pas en acte, mais en puissance prochaine ; cet universel n’est rien, si ce n’est en la considération de l’intelligence ; c’est ce qui, en des choses multiples, est un en puissance, ces mots signifiant non pas qu’il est en puissance selon la nature, mais seulement qu’il est en puissance selon la logique (ut accipitur potentia logice, non naturaliter), qu’il peut, sans contradiction, être en plusieurs choses ; et c’est ainsi qu’il peut être commun en la nature des choses ».

La pensée de Scot nous est ainsi connue d’une manière bien certaine ; les individus seuls existent d’une manière actuelle hors de l’esprit ; l’universel n’existe pas en acte en ces individus ; il n’y est qu’à l’état de puissance logique prochaine, c’est-à-dire que l’intelligence peut l’en tirer par abstraction ; il existera alors en acte, mais dans l’intelligence seule. Partant, la matière individuelle, la forme individuelle, le composé individuel sont seuls des choses qui existent en acte hors de l’esprit ; la matière universelle, la forme universelle, le composé universel ne sont que des idées formées par abstraction, inexistantes hors de la raison ; « À la matière considérée en soi[3], il ne répugne pas d’être commune à diverses matières existant en divers individus ; de même, il ne répugne pas à la notion (ratio) de la forme d’être commune à des formes diverses en divers individus ; donc, de cette matière ignée que voici et de celle que voilà, on peut tirer par abstraction la notion commune de matière [ignée] ; de même de cette forme-ci et de cette forme-

1. Joannis Düns Scott Æeportata Paresienwa, Lib. II, Dist.XII, quæst. V.

2. Jûànnis Duns Sgûti Quæslionet in Metaphysicam Aristoielis, lib. VII* quæst. XIII.

3. Joannis Duns Scoti Scriptum Oæoniense, Lib. III, Dist. XXII, quæst. unîca.

  1. 1
  2. 2
  3. 3