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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

universel et son hœccéité qui produisent le composé individuel.

Peut-être s’étonnera-t-on de voir Scot compter ici la matière spécifique, la forme spécifique et le composé universel pour trois entités distinctes ; on serait porté à n’en distinguer que deux, la forme et la matière, et à regarder le composé eomnie étant simplement l’ensemble de ces deux-là. L’énumération que nous avons citée n’a pas été, cependant, donnée à la légère ; par un de ces raffinements en l’art des distinctions, qui caractérisent sa manière, le Docteur Subtil tient à affirmer que1 « le tout est un être antre que l’ensemble de ses parties considérées comme réunies mais distinctes… Il en diffère en tant qu’entité absolue. — Totiim est ens aliud ab omnibus partibus conjunctim et divisim. … Etiam est aliud ens et alia enlitas absoluta.< »

Cela ne veut pas dire qu’en sus de la forme substantielle qui achève la matière et, par là, produit le composé, il faille considérer une nouvelle forme qui viendrait perfectionner à la fois la forme précédente et la matière ; mais, cependant, on peut dire que cette entité nouvelle est la forme du tout, distincte de la forme substantielle partielle directement unie à la matière ; et, par là, on doit entendre que cette troisième entité, que cette forme du tout, c’est la nature totale ou l’essence (quidditas}. Ce n’est pas une « forme informante » ; aucune matière ne lui correspond ; c’est la forme qui donne au composé tout entier son existence en tant qu’essence (ens quidditative).

C’est ainsi qu’au sein de toute substance, Scot compte trois entités universelles dont chacune a son hœccéité propre.

En cette doctrine, il est permis de reconnaître à la fois l’influence de Roger Bacon et celle de Saint Bonaventure. Bacon avait soigneusement distingué, d’une part, la matière universelle, la forme universelle, le composé universel, et, d’autre part, la matière singulière, la forme singulière, le composé singulier ; mais quelle est la cause qui différencie ceux-ci de ceux-là, il ne l’avait pas dit. Saint Bonaventure, de son côté, avait signalé que le rôle de certaines raisons séminales était de conférer une certaine manière d’être, de faire passer de l’existence universelle à l’existence individuelle ; ces raisons séminales étaient évidentment les avant-coureurs de l’hœccéité.

Mais poussons plus loin l’examen de la doctrine de Duns Scot ; voyons exactement ce qti il entend quand il dit, par exemple, que la matière individuelle est une chose, mais que la matière

1. Joankis Dons Scoti Scrt/rfo/n Oæo/uense, Lib. II1 ? Dist. Il* quæst. II.