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LA PLURALITÉ DES FORMES

Richard de Middleton, il ne multipliera pas sans nécessité ces formes coexistantes. Lorsqu’il énumère les raisons invoquées par ceux qui ne veulent admettre qu’une seule forme en chaque substance, il écrit[1] : « On peut donner une quatrième raison qui a plus de valeur que toutes les précédentes : Il ne faut pas admettre la pluralité sans nécessité… Or, il n’est pas nécessaire d’admettre ces formes multiples, car la plus parfaite contient virtuellement en elle la moins parfaite… Il est donc superflu de supposer que celle-ci soit distincte de la forme plus parfaite qui la contient. »

Ne pas invoquer plusieurs causes là où une seule suffit à tout expliquer, c’est un principe auquel Scot recourt sans cesse et, en particulier, lorsqu’il discute le problème de la pluralité des formes.

« Il serait inutile, dit-il[2], d’admettre [en l’homme] une corporéité distincte de l’Ame intelligente, si celle-ci impliquait en elle l’âme sensitive et l’âme végétative, et si les âmes sensitives et végétatives impliquaient en elles-mêmes la corporéité. Mais, par une autre voie, il est facile de répondre à cette objection. Toutes les fois que nous avons une raison qui nous oblige, d’une manière universelle, à distinguer ceci de cela, il y a nécessité, pour nous, d’admettre la pluralité ;… si ceci est, tandis que cela n’est pas, ceci et cela ne sont pas essentiellement un même être. Or, c’est ce qui a lieu dans le cas qui nous occupe ; le corps demeure alors que la forme de l’âme s’en va. Généralement donc, en font être animé, il est nécessaire d’admettre que la forme par laquelle le corps est corps est distincte de la forme par laquelle, il est animé…

» Donc, le corps du Christ » — c’est à propos de la transsubstantiation eucharistique que Scot a agité ces problèmes — « le corps du Christ comprend en lui une matière et au moins une forme de corps] mixte avant l’âme intelligente ; grâce à cette forme-là, il est partiellement en acte, il est le réceptacle prochain de l’âme intelligente… Cette forme demeure dans le corps aussi bien lorsque l’Ame est unie au corps que lorsqu’elle en est séparée : en ce corps, en effet, elle a sur l’âme une priorité de nature, du moins lorsqu’il s’agit d’informer ce corps. Pendant les trois jours [que dura la mort du Christ,] cette forme est restée dans le corps que l’âme avait quitté… Pendant ces trois jours, la forme de la corporéité n’a pas été, dans le Christ, séparée de la matière qui

1. Jo4nnis Duns Scon Scriptum Oxoniense, Lib* IV> Dist » XI, quæst* IÏI# Art* Il# circa princîpiuin.

2. J. Duns Scoti loc. cit., circa finem.

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