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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

en elle-même et isolément,] que Dieu produit, parmi les créatures, par l’intermédiaire d’une cause seconde, il la peut créer sans cette cause seconde, qui ne fait pas partie de l’essence de l’effet [à produire]. Or la forme, qui confère l’existence à la matière, est une cause seconde qui n’est pas de l’essence de cette matière en tant que matière. Dieu peut donc créer la matière sans la forme. Que, d’ailleurs, la forme ne soit pas de l’essence de la matière, cela est évident ; car, s’il en était autrement, la matière deviendrait une nouvelle matière toutes les fois qu’une forme y remplace une autre forme. »

Clairs et étendus, ces textes nous permettent de bien connaître ce que Scot, précisant les enseignements d’Henri de Gand, de Richard de Middleton et de Guillaume Varron, pensait de la matière. Gardien de la tradition d’Aristote et d’Averroès, Gilles de Rome avait constamment soutenu cette thèse : La puissance pure est un milieu entre le néant et l’être, et cette puissance pure, c’est la matière. A cette thèse péripatéticienne, Scot oppose un axiome qu’il emprunte à Henri de Gand et qui est la base de tous ses raisonnements : La puissance pure, c’est le non-être, le néant, nihil. Ou plutôt, la puissance pure, c’est la puissance objective ; dire qu’une chose est en puissance objective, c’est dire qu’elle n’existe aucunement, mais qu’un certain agent a pouvoir de la produire ; c’est avoir de l’existence en puissance une notion qu’Averroès rejetait après l’avoir attribuée à Jean Philopon.

Cette puissance objective n’est pas celle de la matière ; la matière existe en puissance subjective ; elle est un sujet doué d’actualité, une réalité absolue capable d’exister isolément sans aucune forme, mais en puissance de diverses formes.

Guidée par Henri do Gand, l’école franciscaine est arrivée à rejeter de la manière la plus formelle ce qu’Aristofe enseignait au sujet de l’existence en puissance et de la matière, c’est-à-dire la pierre d’angle de toute la doctrine péripatéticienne. Le dogme chrétien de la création l’a contrainte d’abandonner cette théorie ; uns des éléments de la thèse qu elle a soutenue.

Pour soutenir cette thèse, Duns Scot a dû, sans cesse, repousser le principe cher à Saint Thomas et à Gilles de Rome : Une chose douée d’unité vraie et essentielle ne saurait être formée par l’union de deux autres choses qui, toutes deux, soient en acte. Le Docteur Subtil ne répugnera donc pas à admettre, en une même substance, l’existence de plusieurs formes substantielles.

Toutefois, imitant la prudente réserve d’Henri de Gand et de