Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/375

Cette page n’a pas encore été corrigée
365
DUNS SCOT ET LE SCOTISME

Richard de Middleton ; comme Guillaume Varron, il va distinguer deux sortes de puissances, la puissance objective et la puissance subjective.

« Il nous faut voir, dit-il[1], quelle sorte d’être est la matière. Pour cela, je marque d’abord une certaine distinction au sujet de la puissance. Une chose peut, en effet, être en puissance de deux manières différentes ; d’une première manière, la chose en puissance est simplement le terme à atteindre ; d’une seconde manière, c’est le sujet qui est en puissance de ce terme ; il se peut qu’il s’agisse, dans les deux cas, de la même puissance ; mais, considérée sous des rapports divers, elle prend soit le nom de puissance objective, soit le nom de puissance subjective ; considérée comme sujet déjà existant, elle est dite puissance subjective ; considérée par rapport à l’agent, elle est dite puissance objective ; ces deux puissances peuvent, d’ailleurs, être séparées l’une de l’autre ; ainsi, en une chose créable, [mais qui n’existe pas encore,] il y a puissance objective, mais non pas puissance subjective, car il n’y a rien là qui serve de sujet. »

L’influence de Guillaume Varron se marque jusqu’en cet exemple ; mais la plus grande précision apportée par Duns Scot en la distinction établie par son prédécesseur, qui fut probablement son maître, nous permet de reconnaître l’antiquité d’une telle séparation ; la puissance objective, c’est celle dont raisonnait Jean ! *hilopon, au dire d’Averroès ; la puissance subjective, c’est celle qui a été considérée par Avicenne et par Al Gazâli.

« Certains prétendent donc, poursuit Duns Scot, que la matière existe seulement en puissance objective, de même que la blancheur est en puissance objective quand elle n’existe pas encore ; la matière, toutefois, a une existence relative (secundum quid) ; car il est au pouvoir de sa cause ou de ses causes [de la mettre en acte]…

» Pour moi, je disque la matière… est le terme de la création ; il faut donc que ce soit une chose qui n’existe pas seulement en puissance objective… Il faut qu’elle soit en puissance subjective, quelle soit quelque chose qui existe d’une manière actuelle, qu elle soit un acte ; de quelle manière elle est acte, je ne m en préoccupe pas ; mais il faut qu’elle le soit, car tout ce qui existe hors de sa cause est en acte ou est acte. Puisqu’elle est le principe et la cause de ce qui existe, il faut qu elle soit un être ; car la conséquence, l’effet, dérive de son principe et de sa cause ; si la

1. Johannis Duns Scoti Scriptam Oxoniense, Lib. II, quæst. II, art. I.

  1. 1