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LA MATIÈRE CÉLESTE

mettre une matière. Ils admettent, en effet, que le chaos a atteint jusqu’au ciel empyrée ; ce chaos, c’était la matière de tous les corps contenus sous le ciel empyrée ; on devra donc admettre que la matière considérée en elle-même et par elle-même est de même nature ratio} en tout corps.

» Les théologiens ne sauraient donc s’accorder avec le Philosophe au sujet de cette proposition : Le ciel est nécessaire et incorruptible. En effet, par sa nature, le ciel doit être corruptible, car il doit exister en lui une puissance à se transformer en son contraire ; mais comme il n’existe pas de forme contraire à celle du ciel et qui ait le pouvoir de vaincre cette dernière, le ciel ne peut pas être corrompu par un agent naturel ; il ne peut pas, non plus, être transformé en feu ou en eau.

» Mais alors, semble-t-il, le ciel pourrait corrompre le feu et le transformer en ciel, car la vertu active du ciel est plus forte que la forme du feu ; et cette vertu provient de la forme du ciel ; le feu, d’ailleurs, peut recevoir la forme du ciel ; il pourrait donc, par un tel agent, être transformé de la sorte.

» Peut-être le ciel ne peut-il altérer un élément de telle sorte qu’il lui confère les qualités qui conviennent au corps céleste, tandis que, cependant, la forme du ciel est tellement maîtresse de la matière céleste qu’elle la rend incapable de recevoir les impressions étrangères, partant d’être altérée ou corrompue par quelque autre agent que ce soit. »

En cette question de la matière céleste, Duns Scot a nettement marqué l’opposition qui existe entre l’enseignement de la Philosophie péripatéticienne et l’enseignement des théologiens qui s’inspirent de Saint Augustin ; ces enseignements, il ne s’efforce aucunement de les concilier, comme Saint Thomas eût tenté de le faire ; dans une foule de circonstances, et des plus importantes. Pour lui, la pensée d’Aristote ou des Néoplatoniciens arabes a perdu le prestige qu’elle avait pour Albert le Grand ou pour Thomas d’Aquin.

Ajoutons qu’en ce problème de la constitution de la substance céleste, le docteur Subtil se met à l’école de Gilles de Rome, dont il adopte presque exactement la solution ; avant lui, Gilles avait bataillé à ce sujet non seulement contre Averroès, mais contre Thomas d’Aquin.

La matière est-elle pure puissance ou bien est-elle douée de quelque actualité ? Pour répondre à cette question, ce n’est plus de Gilles de Rome que Scot va s’inspirer ; c’est très directement de Guillaume Varron qui, lui-même, avait subi l’influence de