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DUNS SCOT ET LE SCOTISME

Cette matière homogène, commune à toutes les choses créées, c’est celle qu’Ibn Gabirol nommait la matière universelle ; Scot l’appelle la matière premièrement première, materia primo prima. « J’appelle, dit-il[1], matière primo prima une certaine partie du composé, qui y joue le rôle de sujet (subjecta), et qui possède une actualité entièrement indéterminée par elle-même… Cette actualité, elle la tient de Dieu qui en est la cause efficiente. Quant à ce qui est de telle ou telle actualité [déterminéeelle la tient de la forme par laquelle et avec laquelle elle subsiste dans le composé. »

Comine la matière universelle d’Avicébron, la materia primo prima de Duns Scot se subdivise aussitôt en matière spirituelle et matière corporelle : « Au sujet de ce fondement de la nature universelle[2], savoir la materia primo prima, il est exact de dire qu’il n’y a, en ce fondement de la nature, rien de distinct ; immédiatement, en effet, cette racine se divise en deux branches, la matière corporelle et la matière spirituelle. »

Il y a donc une matière spirituelle : « Je reviens, écrit le Docteur Subtil[3], à la thèse d’Avicébron, et j’en soutiens la première partie, savoir qu’en toutes les substances, tant corporelles que spirituelles, il y a une matière… Si donc on me pose cette question : Tous les êtres qui ont matière ont-ils une matière de même lignée (unigenea), participent-ils de la matière au même sens du mot (univoce) ? Si l’on eu tend, par là, parler de la matière primo prima qui existe en tous ces êtres, je répondrai : Oui. »

Lorsque Scot dit que les créatures spirituelles et les créatures corporelles ont une matière de même lignée (ungenea), il ne donne pas à cette proposition le sens que Richard de Middleton lui eût attribué ; il n’entend pas dire que ccs créatures se peuvent transformer les unes en les autres ; il affirme seulement que la matière des unes a même origine que la matière des autres, car ces matières sont toutes deux issues de la materia primo prima.

La doctrine d’Avicébron, à laquelle Duns Scot s’est si formellement rallié, exige que les corps célestes aient matière et que cette matière ait même origine que la matière des corps sublunaires ; ces matières ont, en effet, pour fonds commun la matière corporelle générale. Cette opinion est bien celle que Duns Scot va professer, et cela en la rattachant à ses origines augustiniennes.

1. JoANNia Duns Scoti Op, laud.) quæst. VIH, art. III.

2. Joannis Duns Scoti Op, laacL, quæst. VIII, art. IV.

3. Joànniô Dons Scoti O/h laud-, quæst. VIII, art. IV.

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