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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

sorte, exprime une certaine manière d’être (habitudo) à l’égard d’une chose qui le possède ; comme nous l’avons dit, être, eu ce sens, revient au même que posséder l’essence, de même que courir veut dire posséder la course. Partant, de même que la course ou un coureur n’est pas même chose que courir, de même l’essence n’est, ni d’une manière abstraite, ni d’une manière concrète, l’être dit en ce sens ; l’être, dit en ce sens, implique, en vertu de sa façon de désigner, l’essence même et, de plus, une certaine manière d’être à l’égard de qui la possède.

» En Dieu seul il n’y a pas composition de plusieurs choses essentiellement différentes, de matière et de forme, par exemple, ou de substance et d’accident ; en tous les êtres hors Dieu, il y a quelque composition de plusieurs essences ; partant, c’est pour Dieu seul qu’il est vrai de dire ; Il est sa propre quîddité ci son être. Dieu donc est sa divinité et son être. Mais dans les autres êtres qui, en sus de leur nature substantielle, possèdent diverses choses, il n’en est pas de même ; l’homme, donc, n’est pas son humanité ni, partant, son être. »

Nous trouvons, dans toute cette discussion, un parfait exemple do la méthode que Guillaume d’Ockam va développer et à laquelle l’Ecole de Paris va demeurer si longtemps fidèle.

À des termes différents comme l’essence, être, un être, essentia, esse, ens, le réaliste veut toujours faire correspondre des choses qui ont entre elles une certaine différence réelle. L’Occamiste déclare, au contraire, que, d’une manière directe et immédiate, de tels termes désignent une seule et même chose ; mais ils ne la désignent pas de la même manière ; l’un la désigne par un nom et l’autre par un verbe ; l’un la désigne par un terme abstrait et l’autre par un terme concret ; or, la façon de désigner une idée ajoute implicitement à cette idée, importe, connote certaines idées accessoires ; aux diverses façons de désigner une même idée, correspondent des idées importées et connotées différentes ; d’où ces différences de sens auxquelles le réaliste voulait faire correspondre des réalités distinctes.

Cette sorte d’analyse grammaticale se montre singulièrement puissante lorsqu’il s’agit de faire évanouir les entités multipliées à loisir par certaines métaphysiques et de montrer la vanité des débats provoqués par ces imaginations. Guillaume d’Ockam en usera pour dissiper la foule des abstractions réalisées par les disciples de Scot ; il avait été précédé, nous le voyons, par Hervé Nédélec qui avait entendu, par là, ramènera une question de mots la fameuse discussion touchant l’essence et l’existence.