Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/356

Cette page n’a pas encore été corrigée
346
D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

d’être substantiel, c’est la puissance en vertu de laquelle une chose peut, avec l’aide d’un certain agent, être au sein de la nature réelle. Or cet être, en vertu duquel une chose, avec l’aide d’un agent, peut être au sein delà nature réelle, c’est l’être d’existence. La pure puissance à recevoir l’être pur et simple, l’être d’existence actuelle, c’est donc la puissance de la matière, et non pas la puissance d’une chose actuelle, qui serait en cet acte appelé essence ou en quelque acte que ce soit. Il me paraît donc que ce terme : l’être (esse) n’exprime pas une certaine forme absolue qui serait ajoutée à l’essence de la créature. »

Par cette discussion, Saint Thomas d’Aquin se trouve tout aussi bien condamné qu’Henri de Gand. C’est, au contraire, le philosophe gantois qui se trouve spécialement visé dans les lignes suivantes :

« Ce terme : l’être (esse) n’exprime pas non plus, comme certains le prétendent, un rapport à l’égard de l’agent, bien que, sans ce rapport, on ne puisse être. En effet, cet homme-là, iste homo », — c’est d’Henri de Gand qu’il s’agit — « qui prétend que l’être exprime un rapport, admet que esse est à essentia ce que currere est à cursus ; mais le mot courir n’exprime pas plus que le mot course un rapport à l’égard d’un agent ; partant, ni être, ni essence n’expriment un tel rapport. Il me semble donc qu’être et essence diffèrent seulement par la façon dont ils désignent une même chose ; l’un de ces termes la désigne par un verbe et l’autre par un nom, en vertu de quoi, comme nous l’allons dire plus loin, l’un implique ce que l’autre n’implique pas ».

Ces dernières lignes nous annoncent qu’entre l’être et l’essence, Hervé Nédélec mettra quelque différence ; mais cette différence ne sera pas d’ordre métaphysique ; elle sera simplement d’ordre grammatical ; les deux mots n’auront pas, à son gré, exactement la même façon de désigner ce qu’ils signifient, le même modus significandi ; l’un d’eux impliquera, importera certaines idées que l’autre n’implique pas.

« L’être, il est vrai[1], n’exprime pas une certaine nature absolue qui serait ajoutée à l’essence de la créature. Il n’en résulte pas, cependant, qu’une créature, qu’une substance créée, tel un homme ou un animal, soit son propre être.

» Pour rendre cette proposition évidente, il faut, tout d’abord, savoir ceci : Tout terme concret, que ce soit un substantif, tel

1. Hervæus contra Henricum de esse et essentia. Ch. III de la réponse. Ms. cit., fol. 222, coll. a et b.

  1. 1