Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/350

Cette page n’a pas encore été corrigée
340
D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

développant les indications du philosophe gantois, des franciscains comme François de Meyronnes et Nicolas Bonet vont reconstruire un système fort semblable à celui de l’Erigène, et ce système, qu’on prendra bien à tort pour celui de Jean de Duns Scot, va former ce qu’on nommera très improprement le Scotisme.

Avec une grande clarté, Nédélec dévoile la piperie de mots qui fait le fond de toutes ces doctrines ; elle consiste à donner le nom d’existence, d esse, à une connaissance, à une représentation intellectuelle qui, à parler proprement, ne confère aucune espèce d’être ou d’existence à l’objet connu.

Non content, d’ailleurs, d’avoir combattu la pensée d’Henri de (laud avec autant de force que de pénétration, Hervé s’en prend, en passant, à une doctrine que Godefroid de Fontaines avait proposée, que Gilles de Rome avait parfois acceptée.

« D’autres disent[1] que l’existence (esse), l’être (ens), l’homme, l’animal, et autres termes analogues qui sont compris dans les divers genres des catégories désignent les choses auxquelles ils s’appliquent en tant que ce sont des êtres que rien n’empêche d’exister (entia non prohibita), ou des êtres en puissance, ce qui est la même chose. Du fait que ces êtres ont cette sorte d’existence (esse), je veux dire l’existence en puissance, des propositions telles que celles-ci : l’homme est homme, l’homme est un être animé, et autres semblables, sont vraies de toute éternité. Mais celte opinion a peu de valeur. En effet, si ces propositions sont vraies de toute éternité : l’homme est homme, l’homme est un être animé, il en est de même de celles-ci : un homme en acte est homme en acte, un homme en acte est un être animé actuel. Cependant, il serait fou de prétendre que tout ce que j’exprime par ces mots : un homme ou un animal en acte désigne un être en puissance et non pas un être en acte.

» Il me paraît donc qu’il faut répondre autrement ». Et notre auteur de nous exposer sa propre théorie de l’essence et de l’existence.

Cette théorie nous parait digne de la plus grande attention. Le son que nous allons ouïr ne rappelle aucun de ceux que nous avons entendus jusqu’ici. Nous avons lu des doctrines métaphysiques diverses ; c’est une analyse grammaticale que nous allons suivre. Par sa rigueur et par sa pénétration, cette analyse égale celles que Guillaume d’Ockam va bientôt effectuer dans tout le domaine de la Philosophie et qui auront, sur la pensée d’Oxford i.

1. Hervé Nédélec, loc. cit. Ms. cit., fol. 221, col. b.

  1. 1