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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

non pas en tant qu’elle est tirée de la puissance de la matière ; en effet, donner l’existence pure et simple, c’est ce qui établit la différence entre la forme substantielle, en tant que substantielle, et la forme accidentelle ; or le caractère en vertu duquel une sorte de choses diffère proprement (per se) d’une autre sorte convient à cette première sorte et à toutes les choses qu’elle comprend. Toute forme substantielle, donc, qu elle vienne du dehors ou du dedans, que ce soit en l’homme ou dans une autre substance, donne l’existence pure et simple… »

À Henri de Gand, Hervé, se souvenant de renseignement de Thomas d’Aquin, oppose ici la pure tradition d’Averroès[1].

Quand Saint Thomas sc borne à maintenir avec fermeté la doctrine péripatéticienne, Hervé Nédélec se montre thomiste très fidèle. ; mais quand le Doctor communis délaisse la tradition d’Aristote et d’Averroès, le disciple, à son tour, ne craint pas de s’écarter de la voie suivie par le maître et de restaurer l’enseignement du Lycée. Sollicité par Avicenne et par Al Gazâli, Thomas d’Aquin avait admis, entre l’essence et l’existence, une distinction qu’un Péripatétisme exact eût durement condamnée ; concilier cotte distinction avec la doctrine authentique du Philosophe avait été un de ses soucis constants ; de ce souci, les tâtonnements qui font hésiter plusieurs de ses théories nous sont un témoignage éclatant. Gilles de Rome, qui ne voulait rompre ni avec l’enseignement d Aristote ni avec celui de Thomas d’Aquin ne s’est pas montré moins embarrassé dans les nombreuses circonstances ou il a traité ce sujet. Hervé Nédélec ne connaîtra pas ces hésitations ; il rejettera sans hésiter la distinction qu’Avicenne avait introduite en Métaphysique ; dans son traité De esse et essentia, il semblera combattre seulement la théorie d’Henri de Gand ; mais sa réfutation ne sera pas moins ruineuse pour les doctrines thomistes ou égidiennes.

Écoutons, tout d’abord, les paroles par lesquelles il résume, avant de la combattre, la thèse du philosophe gantois.

« Touchant l’essence de la créature, dit-il[2], voici quelle est la thèse de cet homme-là…

» Le terme d’essence implique un certain composé formé par un rapport à l’égard de Dieu considéré comme modèle (exemplar) et par une nature comprise dans un certain genre ; cette nature-ci sert de fondement à ce rapport-là ; l’animalité, l’humanité sont

1. Voir : Troisième partie. Ch. III, § IV ; 1. IV, pp. 53y-54o.

2. Hervæus contra Henri cum de esse et esserdia’, Ch. premier de la réponse. Ms. cit., fol, 220, col. d.

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