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GILLES COLONNA

une pure possibilité de laquelle la forme est faite ; sinon, il leur eût fallu supposer que la forme était faite de rien…

» Aussi longtemps que nous voudrons chercher de quoi la forme est faite[1], aussi longtemps nous serons dans l’erreur. Nous ne devons pas, en effet, demander de quoi la forme est. faite, mais dans quoi la forme est faite. Elle est faite en la matière, et avant que la matière commence à se transmuer vers la forme, elle n’a pas besoin de posséder, d’une manière spéciale, quoi que ce soit de cette forme ; mais après qu elle a commencé à se transmuer, la matière possède quelque chose de la forme ; elle a une certaine disposition à recevoir celte forme ; cette disposition peut fort bien être un accident, car l’accident dispose à la réception de la forme substantielle ; ainsi lorsque la chaleur échauffe un corps susceptible d’être échauffé, réchauffement acquis dispose ce corps à se changer en feu. La chaleur incomplète est ainsi une prédisposition à la forme du feu ; elle peut, pendant un certain temps, précéder cette forme. »

En sa discussion, Gilles a fort bien montré quelle pensée avait dirigé Henri de Gand et Richard de Middleton ; ceux-ci voulaient que la matière ait pu, de rien, être créée sans aucune forme et que la forme ait été, ensuite, engendrée en la matière ; ils voulaient que la matière nue ait pu, dans la durée, précéder la forme. Gilles ne saurait admettre ces propositions.

La matière étant, par elle-même, pure puissance et privée de toute espèce d’actualité, ne saurait exister en l’absence de toute forme. Lors donc que Saint Augustin déclare que Dieu a créé, en premier lieu, une matière informe, il n’entend pas attribuer à cette matière une priorité dans le temps, mais seulement une priorité de nature par laquelle cette matière informe ne précède la matière informée que dans notre raison[2]. Quant à cette matière informe dont les cieux et les corps sublunaires ont été formés, et qui occupait toute la sphère embrassée par le ciel empyrée[3], c’était une matière chaotique qui n’était point absolument dépouillée de toute forme[4].

Pour établir que la matière des cieux, et aussi la matière première des éléments, qui lui est identique, sont pure puissance, Gilles a une raison autre que celles dont nous avons entendu

1. Ægidii Romani Opus super secundo libro Sententiarum, Dîst. XII, Pars li, quæst. 11, art. II.

2. Ægidii Romani Opus hexaemeron, Pars I, Cap. II.

3. Ægidii Romani Opus hexaemeron, Pars I, Gap. X.

4. Ægidii Romani Opus hexaemeron, Pars !, Cap. I.

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