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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

» D’autres personnes, qui appartiennent à l’époque moderne, ont prétendu que la matière était quelque chose en acte ; en cette matière, ils ont mis une chose qui est purement en puissance et de laquelle la forme se fait ; cette chose-là, par une extension du mot, ils l’ont nommée raison séminale ; cette pure possibilité, ils la placent au-dessous de la matière. Tout cela est fort, ridicule à dire. La matière, en effet, est si proche du néant que si l’on descend au-dessous d elle, on atteint aussitôt le néant ; on ne peut donc rien mettre au-dessous d’elle. En outre, admettre que la matière est quelque chose qui est en acte, c’est contredire à la fois à Saint Augustin, à Aristote et au Commentateur. » A l’égard de la doctrine de Richard de Middleton, Gilles ne se contente pas de cette discussion quelque peu sommaire ; il en expose une autre *, plus minutieuse, où il répond en détail aux raisons par lesquelles Richard a distingué 4 la matière de la pure puissance qui est en elle.

« Afin de rendre leur thèse plus claire, ces gens-là font eux-mêmes. dit Gilles de Rome, les déclarations suivantes : En la matière, la génération de la forme est précédée d’une certaine possibilité pure qui est différente de l’essence de la matière ; c’est de cette pure possibilité que la forme est faite par l’action de l’agent ; par cette action, il y a conversion en forme de cette pure possibilité. » Gilles reconnaît que nombre de raisons militent en faveur de cette théorie ; il reconnaît qu elle se peut autoriser non seulement de divers passages de Saint Augustin, mais même de certains textes du Philosophe. « Mais, ajoute-t-il, celte théorie qui admet, en la matière, quelque chose qui précède la forme, dont la forme sera faite, et qui diffère réellement de la matière, c’est l’erreur d’Anaxagore, supposant l’existence de formes latentes... Pour éviter cette erreur, le Philosophe a été contraint d’admettre qu’à proprement parler, ni la forme ni la matière ne peuvent être faites ; seul, est fait le composé de matière et de forme... Tous ceux qui ont voulu parler do la production de la forme comme si cette forme était faite isolément, se sont trompés, car la forme n’a rien dont elle soif faite, et le composé a seul quelque chose dont il soif fait ; ils n’ont donc pu éviter d’admettre soit l’existence latente des formes, soit quelque germe (inchoativwri } de la forme, soit encore, comme ceux dont nous parlons, 1. Ægidii Romani Opus super secundo libro Senlenliarum, Dist. XII, Pars II, quæst. II ; De materia ut comparatur ad suam potentiam ; art. I. 2. Rrcardi de Media Villa (iuæsiiones super libres Senlenliarum ; Lib. II, Dist. XII, art. 1, quæst. X ; éd, cit., t. Il, pp. 162-164.