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GILLES COLONNA

dans leurs écrits, que la matière, prise en l’état où elle reçoit la forme, désigne quelque chose qui, de soi, est eu acte. Ils admettent, il est vrai, que le sujet qui reçoit doit être entièrement dépouillé de la nature de la chose qu’il reçoit ; par là, la matière n’est pas chose qui soit en acte, si par acte on entend l’acte des formes qu’elle reçoit… Il leur parait donc que la matière a, par elle-même, une certaine actualité ; mais cette actualité difl’ère de celle qui appartient à toute forme sensible, car la matière est apte, par nature, à recevoir toutes ces formes. »

Cette doctrine moderne, qui est venue supplanter, depuis peu d’années, la théorie des raisons séminales enseignée à Paris lorsque Gilles était étudiant, l’archevêque de Bourges la distingue avec soin de cette dernière, mais il ne la traite pas avec moins de sévérité.

« Parmi ceux, dit-il[1], qui s’inquiètent de savoir d’où vient la forme, il y a des avis divers…

» Certains ont admis l’existence de certains germes (inchoationes) des formes ; mais une forme n’a pas de parties, en sorte que l’on ne peut supposer qu’une partie de la forme soit le germe de la forme entière ; on ne peut donc admettre qu’un principe, différent delà matière, soit le germe d’une forme, à moins que ce germe ne soit l’essence totale de cette forme. Aussi, avons-nous entendu de nos propres oreilles certaines personnes, qui enseignaient la Théologie à Paris, déclarer que les formes spécifiques, prises en leur essence, sont en la matière : par la génération, ces formes acquerraient seulement i’existence. Partant, à leur avis, voici ce qui a lieu lorsque Pair se transforme en feu. Avant la génération du feu, l’essence de la forme du feu se trouvait déjà dans L’air ; puis, par l’opération génératrice, cette forme acquiert l’existence du feu et devient du feu. Mais il est contradictoire de poser une essence dénuée d’existence et d’admettre qu’elle puisse, de la sorte, être d’une manière actuelle. En effet, au dire du Commentateur, la quiddité ou essence d’une chose n’est point un être, sinon par l’intermédiaire de l’existence des choses auxquelles appartient cette essence ; l’essence d’une chose ne saurait donc être séparée de l’existence de cette essence ; l’essence d’une forme ne peut résider en quelque chose sans se donner à elle-même l’existence… Tous les propos [de ces personnes] sont donc fort absurdes.

1. Ægidii Romani Gpus super secundo libro Sententiarum, Dist, XV111, Pars II, quæst. II : Quid est ratio seminalis ; art. I ; éd. cit., fol. précédant immédiatement le fol. sign. IL, col. c.

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