Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/331

Cette page n’a pas encore été corrigée
321
GILLES COLONNA

corps est, actuellement, tout ee qu’il peut être ; il est seulement en puissance d’occuper un lieu autre que celui qu’il occupe ; si l’on peut considérer ce corps comme une matière, c’est seulement par équivoque, par homonymie avec les corps inférieurs ; cette matière céleste n’est pas unie à une forme de la même manière que la matière des corps d’ici-bas ; on peut appeler forme d’un ciel l’intelligence qui le meut ; mais cette intelligence est substantiellement séparée du corps du ciel ; elle n’a pas d’autre union avec lui que celle du moteur avec le mobile.

Cette doctrine d’Averroès, c’est à peine si Saint Thomas avait osé l’atténuer ; lorsque nous la rappelons à notre mémoire, nous comprenons à quel point Gilles de Rome était novateur en soutenant que le corps du ciel est formé d’une véritable matière et d’une véritable forme, que la matière première du ciel est identique à la matière première des substances sujettes à la génération et a la corruption. 11 contribuait pour sa part, et pour une grande part, à effacer la ligne de démarcation que les philosophies antiques avaient tracée entre les substances célestes et les substances sublunaires, la frontière infranchissable que le Péripatétisme avait marquée d’un trait si ferme et si dur.


F. La non-actualité de la matière première.


Si grande était, à la tin du xiiie siècle, l’emprise du Péripatétisme sur les intelligences, qu’il était impossible de s’y soustraire entièrement. Celui qui, en quelque doctrine, avait réussi à rejeter l’autorité d’Aristote et d’Averroès se courbait bientôt, en quelque autre théorie, sous le joug pesant de cette autorité.

Toute l’argumentation par laquelle Gilles de Rome a refusé une matière aux créatures intellectuelles, tout le raisonnement par lequel il a identifié la matière des corps célestes à la matière des corps sublunaires reposent sur ce principe qui est comme l’essence du Péripatétisme : La matière est pure puissance.

Ce principe, Gilles le maintient avec autant de fermeté que l’eût pu faire Averroès. G’est d’Averroès qu’il s’autorise, lorsqu’il écrit, dès le premier chapitre de son Opus hexaëmeron[1] : « La puissance pure tient le milieu entre l’être et le néant ; elle n’est pas l’être, car elle ne possède pas l’existence ; elle n’est pas non plus le néant, car elle peut exister. Le mot puissance, en effet, signifie

1. Ægidii Romani Opus hexaemeron, Pars I, cap. I. — Cf. : Scriptam super secundo Senlentiarum, Dist. XII, pars II, quæst. I : De îpsa materia ut comparatur ad actuiu.

  1. 1