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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

non pas seulement de l’indifférence, ni seulement d’une même façon de recevoir la forme, mais de la transmutation d’une forme en une autre ; deux choses sont dites alors de même matière parce que la matière de l’une peut se transmuer et prendre la forme de l’autre ; ces deux choses ont alors une seule et même matière dans le sens où le Philosophe entend les mots : unité de la matière, lorsqu’il dit que toutes les choses qui peuvent se transformer les unes dans les autres ont une même matière. De cette façon, d’abord, les corps inférieurs et les corps supérieurs n’ont pas même matière, car les corps inférieurs ne peuvent se transmuer à la forme des corps supérieurs ni inversement ; mais, de plus, il n’y a pas une même matière pour tous les corps supérieurs ni pour tous les cieux, car l’un d’entre eux ne peut se transmuer à la forme de l’autre ; et non seulement, en ce sens, les divers cieux n’ont pas la même matière, car l’un d’eux ne peut se transmuer à la forme de l’autre, mais encore deux parties différentes du ciel, voire d’uu même ciel, n’ont pas même matière, car une de ces parties ne saurait se transmuer à la forme de l’autre ; en ce sens, chaque ciel — et chaque partie de chaque ciel — est formé de toute sa propre matière, car la matière de l’un ne peut éprouver un changement qui lui confère la forme de l’autre. »

« De cette façon[1], une étoile n’a pas même matière que l’orbe qui la porte. »

En accordant une même matière aux corps célestes et. aux corps périssables, Gilles de Rome semblait vouloir apporter une doctrine toute nouvelle qui tint le milieu entre celle d’Avicébron et celle d’Averroès. On voit qu’en dernière analyse, sa thèse se réduit à ceci : La matière des corps célestes et la matière des corps sublunaires sont identiques parce qu elles sont tontes deux puissance pure, et cependant, la matière des corps célestes est, comme la matière des corps périssables, une véritable matière, c’est-à-dire qu’en la substance céleste, elle est unie à une forme.

Ces deux propositions nous semblent peu de chose ; l’identité qu’elles établissent entre les deux matières nous parait bien lointaine, puisqu’elle prend fin pour faire place à une distinction radicale aussitôt que l’on considère le mode d’union de la matière à la forme. Pour bien comprendre la portée de la doctrine de Gilles, il la faut comparer à celle qu’enseignait Averroès au Sermo de substantia orbis. Selon cette doctrine, le corps du ciel est un être simple, non composé de matière et de forme ; ce

1. Ægidii Romani Opus hexaemeron, Pars I, cap* IX,

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