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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

que cette pure puissance-ci diffère essentiellement de celle-là, parce que la première dérive du premier Acte pur, du premier Dieu et que la seconde dérive de l’autre Acte pur, de l’autre Dieu ; mais tant que vous n’admettrez qu’un Acte pur et qu’un Dieu, ce qu’il vous faut nécessairement admettre, admettez une seule matière première, une seule puissance pure, car il vous est également nécessaire de professer cette opinion. » Nous voyons ici, ramené à ses origines augustiniennes, l’axiome que Gilles invoque si volontiers : Deux puissances pures sont indiscernables.

Cette thèse de l’unité de la matière première, au sein des substances tant célestes que sublunaires, se heurte à une objection que Thomas d’Aquin avait empruntée à Averroès : Cette matière unique serait en puissance de toutes les formes corporelles ; par essence, elle aurait désir et tendance vers chacune de ces formes ; la matière qui est actuellement pourvue de la forme élémentaire désirerait exister sous la forme céleste et inversement ; ce désir, d’ailleurs, ne pourrait être éternellement frustré ; il faudrait donc qu’il y eût, au moins de temps en temps, transformation du ciel en quelque élément ou d’un élément en substance céleste ; le ciel ne serait plus la substance incapable de génération et de corruption que tout le monde s’accorde à y voir.

« Nous résoudrons, avait dit notre auteur[1], les raisons d’Averroès, raisons que les docteurs modernes » — lisez : Thomas d’Aquin — « font valoir pour montrer que la matière n’est pas la même au sein des corps célestes et au sein des corps sublunaires. »

En effet, à 1’argument que nous venons de rapporter, voici la réponse qu’il oppose, et dont nous trouvons, en plusieurs de ses écrits, un exposé plus ou moins étendu[2].

« La matière, considérée en son essence toute nue, est puissance pure, en sorte quelle ne possède rien par quoi elle puisse différer d’une autre matière : mais il est au pouvoir du Créateur de la soumettre à une forme corporelle qui ait son contraire, ou bien à une forme corporelle qui n’admette pas de contraire.

» Lorsque la matière est soumise à une forme corporelle qui admet son contraire, elle est affectée de la privation connexe de

1. Ægidii Romani Guæstiortes de materia c&lii quæst. II. Ed. cit., fol. 81, col. a.

2. Ægidii Romani Quæstiones de materia eæli ; quæst. II, ed. cit., fol, 83, cof jJ+ [n lîbros de Physico Audita Aristotelis commentaria, lib— VIII, lect. XVI, dubium primum ; éd. cit., fol. 175, col. d. — Quoi/Ztôel, Quodlib. I, quæst. XII : Utrum cælum naluraliter habeat esse incorruptibile ; éd. cit., fol. 7j col. b. — Opus saper secundo libro Sentent iarumt Dist. XII, pars 11, quæst. IV, art. II. — Opus iieæaemeron, cap » V. La citation reproduite dans le texte est extraite de ce dernier ouvrage.

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