Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/327

Cette page n’a pas encore été corrigée
317
GILLES COLONNA

d’ici-bas ; mais, à leur avis, elle n’est pas la même ; si l’on dépouille de toute forme cette matière-ci et celle-là, elles ne seront pas identiques, mais, scion ces théologiens, elles différeront essentiellement l’une de l’autre.

» Il est étonnant que l’on puisse penser qu’en la véritable matière et, par conséquent, en la véritable et suprême potentialité, il se rencontre une différence essentielle… Que la puissance pure et, par conséquent, la potentialité suprême puisse offrir une distinction essentielle, c’est, dis-je, chose grandement étonnante ; par la même raison, en effet, l’acte pur et suprême pourrait présenter une distinction réelle. Dieu, qui est acte pur, est essentiellement un… ; de même, la matière absolument nue qui est puissance pure, doit être une, non pour tous les êtres, mais pour toutes les choses qui ont matière. »

La fin de ce passage esquisse un argument que Gilles avait plus complètement exposé en ses Questions sur la matière céleste ; voici quel est ce raisonnement[1] propre à établir, à son gré, l’identité des deux matières ; Gilles de Rome s’y inspire, comme il a soin de nous en avertir, des Confessions de Saint Augustin[2] ;

« De même que deux nombres ne peuvent être essentiellement différents, à moins que l’un ne soit, plus que l’autre, distant de l’unité,… de môme deux êtres ne sauraient différer essentiellement à moins que l’un d’eux ne soit, plus que l’autre, distant de l’Ün… Si donc la matière première est, proprement, puissance pure si elle est proche du néant, et, par conséquent, aussi distante que faire se peut du premier Principe, il est impossible qu’une matière dépouillée de toute forme diffère d’une autre matière dépouillée de même. L’ordre essentiel des choses se prend de leur rang analogue et de leur distance par rapport à l’Unité, c’est-à-dire à l’Acte pur et au premier Principe ; partant, deux puissances pures ne peuvent, par elles-mêmes, différer d une manière essentielle, car elles ont même distance au premier Principe, même rang par rapport à un seul et même Acte pur. Vous ne pourrez donc donner deux puissances pures essentiellement différentes. Si vous voulez garder deux matières premières, deux puissances pures essentiellement différentes, il vous faudra admettre deux premiers Principes, deux Dieux ; vous pourrez dire alors 1 2

1. Ægidii Romani Qutesliones de materia ræ/i, quæst. Il ; éd. cit., fol. 8a, col. b. — Cf. Ægidii Romani Opus super secundo libro Senlenltarum, Dist. Xll, Pars II : De materia, Quæst. IV : De materia per cornparationem ad —suam unitatem, Art. L Ed, cit., fol. qui suit le fol, siffo » bbZ|, cûL b.

2. D. A urelu Augustine Confessime^ Lib— XIÇ cap, VIL

  1. 1
  2. 2