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GILLES DE ROME

Augustin et d’Avicenne (ce sont les seuls dont il rapporte les propos ) que Gilles va embrasser. Toutefois, parmi les anciens philosophes, il en est un que les Qttæstiones de materia cæli ne nomment point et dont l’exemple entraînerait Gilles beaucoup pins loin que ne sont allés Saint Augustin et Avicenne, beaucoup plus loin qu’il ne veut aller lui-même ; ce Philosophe, c’est Avicébron, qui accorde une même matière première non seulement aux corps sublunaires et aux ci eux, mais encore aux créatures spirituelles. Nous savons que Gilles ne consent point à mettre une matière en la substance angélique. Sa prudente doctrine va donc se garder avec soin de deux excès, l’un qui s’autorise d’Averroès et l’autre d’Avicébron. C’est ce qu’il déclare en YOpits hexaemeron.

« Au sujet de l’identité de la matière, nous voulons, dit-il éviter les extrêmes et tenir un juste milieu. Nous trouvons, en effet, des philosophes qui ont si largement étendu cette identité de la matière qu’ils ont affirmé que la matière était la meme au sein de tous les corps tant corruptibles qu’incorruptibles, tant élémentaires que célestes, voire en tous les esprits ; c’est ce que l’on voit au livre qu’Avicébron a intitulé Forts vitre… On peut dire qu’il y a deux sortes de quantités, une quantité de masse, qui ne se trouve que dans les corps, et une quantité de force qui se trouve aussi dans les esprits. Avicébron a donc voulu que les créatures spirituelles ne différassent pas des créatures corporelles par l’essence de la matière ; elles diffèrent seulement par les conditions auxquelles cette matière est soumise ; au sein des substances corporelles, la matière est sujette à la fois à la qualité [corporelle] et à la quantité de masse ; au sein des substances spirituelles, elle est sujette à la qualité spirituelle et à la quantité de force. Mais ceux qui suivent cette opinion, en admettant une matière même dans les êtres spirituels, donnent trop d’extension à la nature matérielle…

» Étendre donc jusqu’aux substances spirituelles l’identité de la matière, comme l’a fait Avicébron, c’est tenir un parti extrême ; c’est donner trop d’extension à la matière et en concevoir une fausse opinion. Aiusi les philosophes dont nous avons parlé jusqu’ici tiennent un des partis extrêmes en ce qu’ils étendent l’identité de la matière jusqu’aux substances spirituelles. Mais il en est d’autres qui tiennent l’autre parti extrême ; ils restreignent outre

1. D. ÆcriDii Romani Ordinis Fratrum Eremitarum Sancti Augustin* Archiçpis copi Bituricensis Opus Hexaemeron siuodc Mundo sex dicbusconsiitiito. Pars I » cap. IV ! Quod materia unda secundum suani c&scntiam ïd omnibus corporibus est eadem.