Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée
312
D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

déclarait analogue à une sorte de matière, mais qu’il distinguait à juste titre de la matière première proprement dite.

Gilles suit, en cette question de la matière première, une voie qu’il a frayée et qui l’écarte de son maître Thomas d’Aquin, d’Henri de Gand, de Richard de Middleton, de Godefroid de Fontaines, pour le ramener non loin d’Avicébron. En ses Quæstiones de materia cæli, qui semblent être une de ses premières œuvres, l’ermite de Saint Augustin avait formulé avec une entière clarté sa théorie nouvelle, qui se résume en ces deux propositions :

Il y a, en la substance céleste, une véritable matière.

La matière première des cieux est identique à la matière première des éléments sublunaires.

À cette théorie, sans cesse présente à son esprit, il avait fait diverses allusions en scs discussions quodlibétiques, au cours de son écrit sur le De generatione, de son commentaire à la Physique ; il la développe amplement en son Opus hexaëmeron aussi bien qu’en ses questions sur le second livre des Sentences, C’est assurément l’une des doctrines qui lui sont les plus chères ; c’est aussi une de celles auxquelles les maîtres de la Scolastique attacheront de la manière la plus ferme le nom de Gilles de Rome.

Au moment où Gilles a conçu sa doctrine, il connaissait assurément l’enseignement que son maître Thomas d’Aquin avait donné sur la matière des cieux ; décidé à ne pas suivre cet enseignement, Gilles a soin de montrer à quel point la thèse du Doctor communis s’écarte de toutes celles qui avaient été soutenues auparavant.

« Aucun des docteurs antiques, écrit-il[1], aucun des philosophes, aucun des saints dont la tradition soit parvenue jusqu à nous n’a soutenu, à en juger par les écrits que nous avons vus, la thèse suivante : Il y a, au ciel, une matière ; le corps du ciel, abstraction faite de l’intelligence, est composée de deux substances, savoir de matière et de forme ; cependant, cette matière-là est essentiellement différente de la matière des corps d’ici-bas. Seuls, quelques maîtres et docteurs modernes ont admis cette opinion. Quant aux anciens docteurs, les uns ont nié qu’il y eût au ciel aucune matière ; c’est la supposition du Commentateur ; les autres ont admis qu’il y avait une matière au ciel, mais ils ont affirme qu elle était la même que la matière des choses d’ici-bas. »

C’est l’opinion de ces anciens docteurs-ci, c’est-à-dire de Saint

1. Æûidïi Romani Çnæs/iûnet de zna/erfa cæli ; quæst. II : Dato quod iu cælo sit materia, utrum iHa materia sit eademper essentiam cum materia istorum inferiorum, Ed, cit, , foL 8i, coL a.

  1. 1