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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

moins de la manière de parler communément reçue par les théologiens de Paris ; il concevait la constitution de la substance angélique tout comme la concevaient Thomas d’Aquin, Henri de Gand et Godefroid de Fontaines ; mais à la puissance que ceux-ci ne voulaient pas appeler matière, il concédait ce nom ; par cette divergence de mot plutôt que d’idée, il s’écartait en apparence de ces maîtres pour se rapprocher de la tradition franciscaine ; que ce rapprochement lût, d’ailleurs, beaucoup plus apparent que réel, les critiques adressées par Richard à la théorie d’Avicébron en sont un sûr garant.

Il est tout naturel (pie nous trouvions Gilles de Rome parmi ceux qui, en cette question, tiennent pour le parti de Thomas d’Aquin, que nous l’entendions tenir le même langage qu’Hcnri de Gand et que Godefroid de Fontaines, (pie nous le voyions gourmander Richard de Middleton.

Dès sa première discussion quodlib étique, Gilles pose la thèse qu’il ne cessera de soutenir : « Dans les anges, dit-il[1], il n’y a pas de matière ; mais ils ont bien quelque chose qui tient lieu de matière, car ils ne sont pas acte pur et, en eux, une certaine potentialité est mêlée à l’acte ; aussi est-il écrit au Livre fies causes que les intelligences ont leur hyleachis, c’est-à-dire leur principe matériel ; et peut-être est-ce là ce que veulent dire ceux qui attribuent aux anges une matière, car ils disent eux-mêmes que cette matière n est pas de même nature que la matière des substances corporelles ; on peut donc dire que le désaccord entre eux et nous est seulement dans les mots, car nous aussi, nous mettons dans les anges quelque chose de matériel. »

Cette doctrine, Gilles l’a fidèlement gardée jusqu’à la tin de sa vie, car il en reprend l’exposé en ses questions sur le second livre des Sentences.

« Avicébron, dit-il[2], a eu tort de mettre une matière dans les êtres spirituels aussi bien que dans les êtres corporels ; dès là, en effet, qu’il a attribué une matière aux esprits, il lui a fallu admettre que cette matière était, par soi, la même dans les esprits et dans les corps : car s il y a, dans les esprits, une matière qui soit pure puissance, elle n’a rien, de soi, par quoi elle diffère de la matière corporelle…

1. Ægidii Romani Qaodlibet", Quodlib. I, quæst. VIII ; Utrum substantif angelica sit compnsita ex materia et forma. Ed. cit., fol. 6, col. a.

2. Ægidii Romani Opus super secundo libro Sentcntiaruin, Dist. XVII, quæst. III:Utrum anima fuerit producta de aliqua materia; éd. cit., fol. suivant le fol. sign. hh4, coll. b et c.

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