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GILLES DE ROME

matérielles l’individuation ne provient pas directement, absolument et de toute manière de la forme ; elle est produite par les conditions de la matière ; cc n’est donc pas à la même faculté qu’appartiennent directement la connaissance de la forme cl de l’essence et la connaissance de l’individuation ou de l’individu. »

Ce n’est donc pas seulement à l’égard de notre esprit, c’est en la réalité même, que l’individualité d’une substance immatérielle est identique à la forme spécifique, que l’existence est identique à l’essence. Cette conclusion, Gilles cherche à en atténuer la portée en répétant ces mots : d’une certaine façon, aliquo modo. Mais rien, dans son raisonnement, ne justifie cette atténuation ; tout, au contraire, conduit à affirmer l’entière identité de l’essence et de l’existence au sein de toute substance immatérielle.

Cette identité, on était conduit à l’admettre par le raisonnement que Saint Thomas exposait dans la Somme ; on y est conduit toutes les fois que l’on veut sauvegarder ce dogme essentiel du Péripatétisme : La matière est le seul principe qui puisse subdiviser une forme spécifique unique en individus distincts. Thomas d’Aquin et Gilles de Rome adhéraient à ce dogme ; par lui et malgré eux, ils étaient conduits à identifier, en toute substance immatérielle, l’essence et l’existence. S’ils eussent été conséquents avec leurs prémisses, ils eussent admis, avec Aristote, que toute substance immatérielle est un Dieu, ou bien, avec Avicébron, ils eussent, attribué une matière à toute créature spirituelle. À ces deux conséquences de leurs axiomes, ils se refusaient également.


D. La matière angélique.


En l’École franciscaine, fidèle à la tradition d’Avicébron, l’existence d’une véritable matière en la substance des anges était une thèse communément reçue ; Alexandre de Alès et Saint Bonaventure l’avaient soutenue ; jusqu’à son dernier jour, Bacon la défendit avec âpreté.

Hors de l’École franciscaine, au contraire, cette thèse ne trouvait, semble-t-il, aucun défenseur parmi les théologiens de l’üniversité de Paris ; Henri de Gand et Godefroid de Fontaines tenaient à peu près le langage qu’avait tenu Saint Thomas d’Aquin ; en la créature angélique, ils admettaient une certaine puissance au changement intellectuel, un certain pouvoir de former des idées nouvelles, de prendre de nouvelles décisions ; mais à cette puissance, ils refusaient d’un commun accord le nom de matière.

Seul, Richard de Middleton s’écartait, sinon de la doctrine, du