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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

» Nous répondrons qu’au sein des choses immatérielles, l’individuation appartient d’une certaine façon à la forme et à la nature de l’essence ; voici comment on le peut démontrer :

» Une forme capable d’être reçue en la matière n’est pas, par elle-même, susceptible de multiplicité et n’est pas, d’elle-même, une chose déterminée (hoc aliquid) ; si toutefois, dans les choses matérielles, il se produit une individuation de la forme, cela a lieu par accident et en raison de la matière en laquelle cette forme est reçue ; ainsi donc, en de telles choses, la forme, en ce qui est d’elle-même, n est pas susceptible de multiplicité ; si elle se trouve, cependant, individualisée et déterminée (signatur), c’est en raison de la matière en laquelle elle est reçue,

» Au contraire, pour les choses immatérielles telles que les formes qui existent par elles-mêmes, ces forme s-là ne sont pas aptes par nature à la plurification ; ici, c’est par elle-même que chaque forme est individualisée et qu’elle est une chose déterminée (hoc aliquid). Mais alors tout ce qui appartient à la forme appartient d’une certaine façon à ia nature de l’essence ; par cela même que, pour les choses immatérielles, l’individuation se fait parla forme, elle appartient d’une certaine façon à la nature de l’essence.

» Au contraire, pour les choses matérielles, l’individuation n’a pas lieu absolument et de toute façon (simpliciter per omnem modum) par la forme ; elle a lieu par le moyen de la matière car, en ces choses, c’est la matière qui est le principe d’individuation ; en ces choses, donc, il est nécessaire que l’individuation soit tout à fait étrangère à la nature de l’essence.

« Ce que l’on cherchait est donc maintenant évident ; il est une chose, savoir l’individuation, qui, au sein des réalités immatérielles, appartient à la forme et à la nature de l’essence, tandis qu’elle ne leur appartient pas au sein des réalités matérielles. »

La réponse donnée à ce second doute fournit, comme le montre Gilles de lîome la véritable raison d’être de la solution qu’il a donnée au premier : « Si, dans les choses immatérielles, les formes existent par elles-mêmes et, d’elles-mêmes, sont individualisées et déterminées, attendu qu’en ces choses l’individuation appartient directement à la forme, la même faculté qui est apte à connaître la forme et l’essence est également apte à connaître nature même de la forme (de ratione formæ). Mais dans les choses

1. Gilles de Rome, loc. cit., dubium 3m ; éd. cit., fol. 66, col. d.