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GILLES DE ROME

de l’existence. Mais en une créature immatérielle, notre raison ne perçoit pas cette distinction, parce qu’elle connaît à la fois, à l’aide de la même faculté et par le même procédé, l’espèce et l’individu ; au contraire, en une créature matérielle, elle distingue l’essence de l’existence parce qu’elle connaît l’espèce et l’individu à l aide de facultés différentes, par des procédés différents.

Mais pressons un peu plus fortement les conséquences de ces remarques.

En une créature, la dualité de l’essence et de 1 existence est. pour nous, connaissable ou non connaissable selon que la dualité de l’individu est, elle-même, connaissable ou inconnaissable. Le proclamer, n’est-ce pas donner à entendre que la dualité de l’essence et de l’existence n’est pas autre chose que la dualité de l’espèce et de l’individu, que l’essence, c’est la forme spécifique et l’existence, le principe d’individuation ? Cette identité de l’existence et du principe d’individuation n’est-elle pas, d’ailleurs, admise par Saint Thomas lorsqu’il déclare qu’un être est un par cela même qui fait qu’il existe ?

Mais, d’autre part, si l’on admet que la matière seule est capable de subdiviser la forme spécifique en individus multiples ; que pour les substances immatérielles, formes pures, chaque forme spécifique est réalisée en un individu unique, qu’elle est individualisée par elle-même, qu’elle est, à elle-même son propre principe d’individuation, ne sera-t-on pas forcément conduit à cette conséquence : Pour les seules substances matérielles, il y a lieu de distinguer entre la forme spécifique et le principe d’individuation, partant entre l’essence et l’existence ; pour les substances immatérielles, le principe d’individuation ne fuît qu’un avec la forme spécifique, et donc l’existence ne fait qu’un avec 1 essence ? Ces conclusions ne sont-elles pas celles que Saint Thomas d’Aquin énonçait fort clairement en cet article de la Somme qui parait avoir éveillé l’attention de Gilles de Rome ? Ne sont-elles pas celles qu’en son second Doute, Gilles formule dans les termes que nous allons rapporter ?

« En second lieu, écrit-il quelqu’un pourrait se demander s’il n’y a pas quelque chose qui, dans les réalités matérielles, n’appartiendrait pas à la forme ni à la nature de l’essence (raZ/o quiddilatis), tandis que, pour les réalités immatérielles, on pourrait dire que cette chose appartient d’une certaine façon (aliquo modo} à la forme ou à la nature de l’essence.

1. Gilles de Rome, lac. cit, , dubium ; éd. cit., fol, 66, col. c.