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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

aussi absolument délaissée par Gilles de Rome qu elle l’avait été, de suite, par Godefroid de Fontaines.

Les doctrines si semblables de Gilles et de Godefroid prêtent à une remarque qui mérite quelque attention. Nous voyons ces auteurs identifier l’existence en puissance d’une chose avec l’existence de cette chose en ses causes ou, si l’on préfère, avec l’existence des causes qui sont capables de produire cette chose. Cette manière de concevoir l’existence en puissance est essentiellement différente de la théorie péripatéticienne qui unit intimement les deux notions de matière et d’existence en puissance. Averroès attribuait à Jean Philopon cette proposition : L’existence en puissance d’une chose, c’est l’existence des causes capables de produire cette chose. Cette proposition, d’ailleurs, il la condamnait avec la dernière sévérité. Il eût trouvé fort malsonnant le langage de Godefroid de Fontaines et de Gilles de Rome.

Nous n’avons pas entendu encore toutes les variations que Gilles exécute sur ce thème : y a-t-il une distinction entre l’essence et l’existence et quelle est la nature de cette distinction ? 11 nous reste à prendre connaissance des réflexions auxquelles ce sujet donne lieu dans le commentaire De anima[1].

En cet ouvrage, le langage de Gilles semble tout autrement conforme au thomisme qu’il n’était au commentaire du traité De generatione. L’objet de notre autour paraît même de dissiper une apparence de contradiction qui se remarque en la Somme théologique et que nous avons notée en son temps. Nous avons dit comment Thomas, en cet ouvrage, voulant établir, en Dieu, l’identité de l’essence et de l’existence, avait produit un raisonnement dont cette même identité se pourrait conclure en tout être privé de matière ; comment, cependant, le Doctor communis se hâtait tout aussitôt de distinguer entre l’essence et l’existence de toute créature, fût-elle angélique.

Le heurt de ces articles de la Somme avait été remarqué, assurément, de Gilles de Rome. C’est pour l’amortir qu’il entreprend de montrer qu’au sein d’une créature immatérielle, on doit, en un certain sens, nier l’identité de l’essence et de l’existence, tandis qu’en un autre sens, il est permis d’affirmer cette identité. Écoutons-le[2] :

1. Ægidii Romani Exposilio in librum tertium de anima ; dtibia i| !m, 2nnl et 3»in circa hune textum : Ouoniam auteni aliud est magnitudo et niagnitudînis esse. (Expos itio domini Egidu Romani super libros de Anima cum lextu... Venetiis, Simon de Lucre, i5oo, fol. 66, coll. b, c et d.)

2. Gilles de Rome, loc. cil., dubium ium ; éd. cit., fol. 66, coll. b et c.

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  2. 2