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GILLES DE ROME

que, lorsqu’elles cessent d’exister en elles-mêmes, elles ne cessent cependant jamais d’exister en leurs causes. Or c’est à propos de telles choses que la question avait été posée… Nous répondrons donc d’une manière satisfaisante à la question en disant que la science de ces choses-là persiste alors même qu elles ont cessé d’exister, puisque ces choses subsistent en leurs causes.

» Remarquons, toutefois, que si des choses particulières ont cessé d’exister en elles-mêmes, ce n’est plus sous cette forme qu elles demeurent en leurs causes. Lorsque telle pluie particulière a cessé d’être, les causes naturelles ne sauraient ramener une pluie qui soit numériquement la même que celle-là. Lorsque la substance d’une chose a péri, on ne peut voir revenir une chose qui soit numériquement la même que celle-là… Il peut seulement revenir une autre chose de même espèce… Ainsi les choses qui ont cessé d’exister et qui demeurent en leurs causes n’ont donc avec celles qui ont existé ! qu’une identité spécifique, mais point d’identité numérique. Si donc la Physique était une science particulière, comme les choses particulières, une fois détruites, ne subsistent plus sous cette forme particulière ni en elles-mêmes ni en leurs causes, il serait raisonnable de dire que la science de ces choses n’existe plus lorsque les choses elles-mêmes ont cessé d’être. Mais la science porte sur les choses universelles, et comme les choses qu elle considère, lors même qu’elles ont cessé d exister, persistent dans leurs causes et y gardent entre elles une identité spécifique et universelle, il n’est pas douteux que la science de la pluie et des choses périssables de même sorte demeure alors même que cette pluie ou ces choses périssables ont cessé d’exister. »

Ce sont les pensées, c’est le langage même de Godefroid de Fontaines que nous reconnaissons en ce passage d’une doctrine si claire et si précise. Qu’il nous semble loin, maintenant, le thomiste qui écrivait, en sa première discussion quodlibétique : « L’existence actuelle est réellement distincte de l’essence, acluale esse realiter ab essentia est distinction ! » D’un seul bond, sans s’arrêter à aucune des opinions intermédiaires, il est venu se reposer en la thèse la plus contraire au Thomisme ; il affirme que 1 essence est inséparable de l’existence ; « lorsque les choses cessent d exister d’existence actuelle, dit-il, elles cessent aussi d’exister d’existence essentielle ; res cum destruuntur secundum esse acluale, destruuntur secundum esse essenliæ. » Il serait difficile d’imaginer conversion plus soudaine ni plus complète. La théorie thomiste de l’essence et de l’existence est, désormais,