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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

d’une chose en ses causes rend possible la science de cette chose, ce n’est pas seulement parce que la connaissance de la cause entraîne la connaissance de l’effet ; c’est encore parce qu’il suffit pour constituer une nature (quiddilas) qu’elle soit en puissance d’exister. Or, par le fait même que des choses existent en leurs causes, elles sont en puissance d’exister d’une manière actuelle] ; étant en puissance d’exister, elles sont en possession d’une nature déterminée (quidditas) ; or, tout ce qui a une nature déterminée (quidditas) est objet d’intelligence ; les choses donc qui sont en leurs causes peuvent être connues et peuvent être objets d’opérations intellectuelles.

» Dès lors, si l’on considère des choses ce qu’elles sont en elles-mêmes, dès là qu’elles perdent l’existence actuelle, elles perdent aussi l’existence essentielle [fies ergo, ut sunl aliquid in seipsis, cum destruuntui’secundum esse actuale, destruuntur secundum esse essentiæ). Partant, dire qu’une chose garde l’existence essentielle lorsque son existence actuelle est détruite, c’est mal dire ; on peut dire fort justement que l’existence est en dehors de ce qui constitue la nature (quidditas), en sorte que l’on peut concevoir la nature (quod quid est) d’une chose sans concevoir cette chose comme existant d’une manière absolue ; mais à proprement parler, il n’y a pas, pour une chose, d’autre manière de rester que la manière dont elle existe en elle-même (proprie loquendo, non remanet res nisi ut est aliquid in seipsa).

» Toutefois, ceux qui disent qu’une chose garde l’existence essentielle après qu’elle a perdu l’existence actuelle, pourraient, sous cette persistance d’une chose en son existence essentielle, entendre qu elle garde l’existence en ses causes, existence selon laquelle elle demeure apte à servir d’objet à l’intelligence, selon laquelle sa nature peut être conçue ; ils auraient alors une idée juste, mais ils l’exprimeraient d’une manière impropre.

» Cela posé on voit clairement quelle opinion il faut tenir au sujet de la question posée. On demandait si la connaissance d’une chose peut subsister alors que la chose a cessé d être… Il faut répondre ceci : Si une chose était tellement détruite qu elle ne persistât plus ni en elle-même ni dans ses causes, si elle n avait plus d’existence qu’en l’esprit, il n’y aurait plus de science d’une telle chose. Si, par exemple, la pluie était abolie en elle-même et dans ses causes, si elle n’existait plus qu’en l’esprit, la pluie n’existerait pas plus que la chimère, et il ne pourrait plus y avoir de science de la pluie.

» Toutefois les choses périssables de cette sorte sont ainsi faites