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GILLES DE ROME

être, au moment même oii la science est eu acte, [où la connaissance s’acquiert, ] importe-t-il que la chose soit ou qu’elle ne soit pas. Mais lorsque nous avons acquis la science d’une chose, de la rose par exemple, qu’il existe une rose ou qu’il n’existe pas de rose, l’intelligence peut continuer à concevoir une rose. »

Entre la pensée de Godefroid de Fontaines et la pensée de Gilles de Home, la ressemblance se marque davantage encore au commentaire des livres De generatione et corruptione composé par le second de ces maîtres.

On aimait, au xiiie siècle, à poser sous la forme suivante le problème de la distinction entre l’essence et 1 existence : Peut-il y avoir science d’une chose qui n’existe pas ? S’il n’existait aucun homme, pourrait-on regarder cette proposition comme une vérité : L homme est un être animé ? C’est de ce biais que Siger de Brabant et Roger Bacon avaient pris la question, pour affirmer l’identité de l’essence et de l’existence. Godefroid de Fontaines n’avait point oublié de la considérer de ce côté et déjà Gilles de Rome, en sa seconde discussion quodlibétique, avait pris ce point de vue. Il le garde en son commentaire au De generatione. « Lue chose étant détruite, la science de cette chose demeure-t-elle ? » C’est ce qu’il se propose d’examiner.

« Remarquons, dit-il ", qu’une chose peut avoir trois sortes d’existences:l’existence en elle-même, l’existence en ses causes, l’existence dans l’intelligence.

» Ces trois existences, elle les possède suivant un certain ordre. Toute chose, en effet, qui possède en elle-même l’existence, qui a l’existence actuelle, existe en ses causes ; mais la réciproque n’est pas vraie ; beaucoup de choses, en effet, existent en leurs causes qui, cependant, n’existent pas en elles-mêmes et d’une manière actuelle. De même, tout ce qui possède l’existence actuelle ou l’existence en scs causes possède l’existence conceptuelle, existe en l’intelligence ; mais la réciproque n’est pas vraie ; la chimère est quelque chose en notre Ame ; cependant elle n’est rien ni en elle-même ni en ses causes.

» Or, avoir la science, c’est connaître par les causes… Lors même, donc, qu’une chose cesserait d’exister d’une manière actuelle, pourvu qu’elle continue d’exister en ses causes, la science de cette chose ne se trouverait pas abolie. » En outre, il faut remarquer avec grand soin que si l’existence

1. Ægidii Romasi Commentaria in libros de generatione et corraptione Artstolelis’, lib. 1, lect. 1 (non numérotée), dubium 3m; éd. cit., fol. 3, coll. c et d.