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GILLES DE ROME

résumer quelques phases conduit Gilles à une conclusion conforme à ce qu’il avait pris soin d’annoncer :

« Concluons donc, écrit-il[1], et disons ceci :

» Les raisonnements faits pour prouver que le monde n’aurait pu être de toute éternité, nous ont tous paru susceptibles d’être dénoués ; ils ne nous ont pas semblé démonstratifs. Toutefois, comme nous le disions plus haut, il y a beaucoup de vérités qui ne peuvent pas être démontrées, et il y a beaucoup de vérités démontrables pour lesquelles on n’a pas, jusqu’ici, trouvé de démonstration. Nous ne tenons donc pas que le monde aurait pu exister de toute éternité ; nous ne tenons pas non plus qu il soit impossible de démontrer [la thèse contraire] ; nous tenons seulement que les raisonnements construits à cette intention ne nous paraissent pas être des démonstrations.

» Si parfois, en cette question, nous avons semblé dire que le monde eût pu exister de toute éternité, nous n’avons pas énoncé cette proposition pour en affirmer l’exactitude ; c’est seulement mie supposition que nous faisions pour la commodité de la discussion, afin de pouvoir montrer que les raisonnements construits à l’encontre de cette proposition n’étaient pas concluants. »

Il est certain, toutefois, que, de toute éternité Dieu a pu faire le monde, en ce sens que de toute éternité il a eu le pouvoir de le créer ; ce pouvoir de créer le monde, ce n’est pas dans le temps qu’il l’a reçu. »


C. L’essence et l’existence.


Les longues discussions relatives au problème de l’éternité du Monde nous ont montré, en Gilles de Rome, un philosophe extrêmement prudent, au sens critique très aiguisé, porté à mettre à nu ce qui rend pou sûres les thèses d’autrui, plus volontiers qu’il ne l’est à soutenir des opinions personnelles, l’ne telle disposition intellectuelle, si contraire au dogmatisme, s’allierait malaisément à des convictions inébranlables touchant les théories si continuellement controversées de la Métaphysique. Si, parfois, Gilles varie ; s’il lui arrive, à la suite d’un examen plus délicat, de rejeter une opinion qu’il avait d’abord défendue pour adopter un sentiment tout différent, nous ne devrons pas nous en trop étonner.

D’une telle variation nous trouverons un exemple bien saisis-

1. Ægidius Romaïojs, loc. cil. ; éd. cit., foL cÎL, col. c,

  1. 1