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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

choisir l’un ou l’autre de ces deux partis et d’agir conformément à son choix. Lors même donc que le monde eût existé de toute éternité, avant [d’exister en soi], il ont existé dans sa cause, non par une priorité de durée, mais par une priorité de nature ; et comme Dieu agit par choix, avant de faire le monde, il eût choisi de le faire ou de ne le point faire. » Le choix divin doit, comme le veut Henri, précéder la réalisation du monde ; mais il n’est pas nécessaire qu’il la précède dune priorité de durée ; il suffit qu’il la précède d’une priorité de nature.

« Ce qui est passé ne peut donc pas ne pas être passé ; si l’on admet que le monde a été fait de toute éternité, il ne peut pas ne pas avoir été fait de toute éternité ; et en quelque instant que l’on suppose qu’il a été fait, il ne peut pas ne pas avoir été fait à cet instant-là. Mais à quelque moment que l’on veuille placer la création du monde, qu’on suppose le monde créé de toute éternité on qu’on le suppose fait dans le temps, avant qu’il ne soit fait, il a dépendu de la puissance créatrice de le faire ou de ne pas faire. C’est pourquoi le monde n’a pas été créé par nécessité mais en vertu du libre arbitre divin. IL eût donc pu ne pas être fait si Dieu avait décrété de ne le point faire.*»

L’argumentation de Gilles contre Henri de Gand complète, peut-on dire, celle qu’Avicenne avait dressée contre Aristote.

Pour Aristote, toute substance éternelle ne pouvait tenir que d’elle-même son existence ; pour qu’une substance pût être engendrée par une autre substance, il fallait que celle-ci précédât celle-là dans le temps.

À cette thèse-là, Avicenne avait opposé celle-ci : Une substance éternelle peut n’êtrc que possible par elle-même ; elle peut tenir sou existence d’une autre substance ; la cause créatrice n’a pas besoin de précéder dans la durée l’effet créé ; il suffit quelle ait sur celui-ci une priorité de nature ou d’origine.

Sans nier qu’une cause éternelle pût créer une substance éternelle, Henri de Gand voulait que l’on accordât un point à la thèse d’Aristote ; une telle création ne pouvait être, à son gré, que nécessaire ; un effet ne pouvait être librement produit que si la cause avait sur cet effet une priorité de durée.

C’est ce dernier point que nous venons d’entendre nier par Gilles. La priorité non de durée, mais de nature qu’un Créateur éternel aurait sur sa créature éternelle suffit pour que celle-ci puisse être un effet du libre choix de celui-là.

La longue et intéressante discussion dont nous n’avons pu que