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GILLES DE ROME

éternité, il aurait pu faire l’homme dans le temps... Si le monde existait depuis l’éternité, il n’y aurait pas grand inconvénient à admettre que l’homme a été fait après le monde.

» Nous pourrions encore dire, comme nous le faisions ci-dessus, que si le monde eût existé de toute éternité et si 1 homme eût existé aussi de toute éternité, Dieu eût pu trouver un moyen pour éviter qu’il n’y eût une infinité dûmes, tel le moyen que nous avons indiqué, ou bien encore quelque autre moyen beaucoup plus convenable que notre intelligence n’est pas assez puissante pour découvrir. »

À l’argument opposé par les adversaires de l’éternité du monde, Thomas d’Aquin avait imaginé déjà cette échappatoire : Lors meme que l’Univers n aurait pas eu de commencement, 1 humanité aurait pu en avoir un. Mais il en avait indiqué une autre qui méritait d’être suivie : Peut-être l’impossibilité de la multitude infinie actuelle n’est-elle pas bien démontrée. En son commentaire aux deux premiers livres des Sentences, achevé en 1344, un religieux du même ordre que Gilles de Rome, Grégoire de Rimini. devait analyser, avec une rare puissance logique, les deux notions de multitude infinie actuelle et de grandeur infinie actuelle. Mais le temps marqué pour ces considérations n était pas encore venu.

Si Gilles ne dit mot de la possibilité de l’infini actuel, il songe, en revanche, pour résoudre l’argument qui lui est opposé à une solution que Thomas d’Aquin n a point mentionnée et que, peut-être, il eût repoussée ; cette solution consisterait à admettre, à l’exemple de Platon et des Pythagoriciens, une métempsychose cyclique qui, périodiquement, réincarnerait les mêmes âmes. La forme même du langage employé par Gilles suffirait à prouver, s’il en était besoin, qu’il cède ici à l’influence de Godefroid de Fontaines.

Jusqu’ici, nous n’avons pas vu Gilles aux prises avec l’argument fondamental d’Henri de Garni qui, entre l’éternité du monde et la liberté de l’arbitre de Dieu, affirme l’existence d’une contradiction. Voici ce que notre auteur répond à cet argument[1] :

« Lors même que Dieu aurait fait le monde de toute éternité, il eût pu le faire à l’instant où il l’a fait en réalité ; il eût pu ne pas faire de toute éternité cela même que l’on admet qu il a fait de toute éternité. Non pas qu’il eût pu, en même temps, faire une chose et ne pas la faire, mais parce qu’il était en son pouvoir de

1. Ægidius Romanus, loc. cit. ; éd. cil., fol. précédant te fol. sign, d, col. b.

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