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GILLES DE ROME

précédente question, il nous avait seulement laissé entrevoir :

» Il est certain que le Monde a eu un commencement. Mais à cette question : Est-il possible que le Monde ait existé de toute éternité, on peut répondre de trois manières différentes.

» La première consiste à dire : [Il est impossible] que le monde ait existé de toute éternité.

» La seconde déclare que l’on ne saurait démontrer que le Monde n’a pas pu être fait de toute éternité. Celui qui tienl pour cette seconde opinion affirme moins que celui qui tient pour la première ; il y a, en effet, beaucoup de vérités dont nous ne pouvons avoir de démonstration.

» La troisième dit que les raisonnements précédemment cités ou que ceux qui ont été donnés par d autres personnes ne sont pas des démonstrations. Celui qui tient ce langage dit encore moins que celui qui professe la seconde opinion ; il y a, en effet, beaucoup de propositions qui sont susceptibles d’être démontrées mais dont nous n’avons pas la démonstration, beaucoup de choses qui peuvent être connues et que nous ne connaissons pas.

» Si l’on nous demande à nous-même ce que nous pensons de l’éternité du monde, nous répondrons : Nous n’affirmons pas que le monde ait pu exister de toute éternité ; nous n’affirmons pas non plus qu’il soit impossible de démontrer [qu’il n a pu exister de toute éternité]. Nous disons seulement que tous les raisonnements, construits par autrui, que nous avons entendus jusqu ici ou que nous avons lus en des écrits, afin de prouver que le monde n’a pu exister de toute éternité, ne sont point des démonstrations ; du moins, nous semble-t-il que l’on peut les dénouer et nous parait-il qu’ils ne sont pas démonstratifs. »

Qu’il soit impossible que le Monde n’ait pas eu de commencement ; Henri de Garni avait pensé le démontrer ; Gilles ne prendra pas le parti d’Henri. Thomas d’Aquin, au contraire, avait déclaré que rien, en la thèse de l’éternité du monde, ne répugnait à l intelligence, qu’on ne saurait donc démontrer la nécessité du commencement du monde ; Gilles ne suivra pas Thomas d’Aquin plus qu’il n’a suivi Henri de Gand. Il n’affirmera ni que la non-éternité du monde soit démontrable ni quelle soit indémontrable ; content du rôle de critique, il se bornera à déclarer que cette thèse n’a pas été établie jusqu’à ce jour. Après avoir prouvé la fragilité de tous les arguments construits en faveur de 1 éternité du inonde, il va prouver que tous les arguments en sens contraires sont également caducs.

Parmi ces arguments, il en est plusieurs qui invoquent la dif¬