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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

cède. C’est, en effet, par la considération du mouvement que les philosophes se sont surtout efforcés de démontrer l’éternité du monde ; il est donc bon de voir sourdre la vérité de l’endroit même où l’erreur décevante avait jailli. »

Gilles nous laisse déjà entrevoir quelle va être sa thèse ; elle sera celle de son maître Thomas d’Aquin : « Le monde a commencé depuis un certain temps, mais on ne saurait démontrer ni cette proposition ni la proposition contraire. » Pour soutenir et faire triompher cette opinion, il lui faut livrer deux combats, l’un contre les philosophes qui croient avoir démontré l’éternité du monde, l’autre contre « certains grands théologiens modernes » qui prétendent établir que l’éternité du monde est impossible. Le premier combat remplit toute la question intitulée l’Utrum mundus de necessitale fuerit æternus. Au second, est consacrée la question : Utrum possit demonstrari mundum incepisse.

Le premier combat n’est pas, pour Gilles, lutte nouvelle ; pour Ja même cause il a déjà bataillé en ses écrits sur le De generatione, en ses commentaires à la Physique. Il n’aura donc, la plupart du temps, qu’à user d’armes dont il s’est déjà servi. Comme en ses écrits précédents, son effort ira surtout à établir qu’un agent naturel ne peut produire un mouvement nouveau qu’à laide d’un mouvement précédent, tandis que Dieu est exempt de cette nécessité. Sans nous attarder, donc, aux minutieuses discussions par lesquelles Gilles ruine les raisonnements des philosophes en faveur de l’éternité du monde, réservons toute notre attention à sa critique des arguments théologiques contre l’éternité du monde ; c’est là, en effet, bataille nouvelle, que l’archevêque de Bourges, en ses écrits de Physique, n’avait pas eu à livrer. « Un demande, en second lieu 1 s’il est possible de démontrer que le monde a commencé et qu’il ne pouvait pas être éternel. Certains maîtres admettent que cela peut être démontré. Nous allons donc citer les raisonnements qu’ils disent être des démonstrations, prenant ce mot démonstration au sens large, au sens de raison nécessaire et impossible à dissoudre. » L’énumération des arguments qui ont été forgés par certains théologiens afin de prouver que le monde n’a pu exister de toute éternité est suivie de ces réflexions 1 2 où Gilles marque d’une façon très précise la position qu’il entend occuper, et qu’en sa 1. Ægidu Romani Op. laud., Dist. I, Pars I, Quæst. XIV. Ed. cit., fol. sign. c 3, col. d.

2. Ægidius Romanus, loc.cit. ; éd. cit., fol. sign. c 4, col- à, et fol. sign. c 5, col. a.