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GILLES DE ROME

à la corruption, les corps célestes et les substances spirituelles. Le Philosophe a donc cru que le inonde était éternel et que l’Univers n’avait jamais commencé.

» Quelques maîtres ont tenté, parfois, d’excuser le Philosophe au sujet de cette opinion ; ils ont prétendu qu’il n’avait pas professé ce sentiment. Si l’on considère, toutefois, quelles sont les paroles qu’il a dites, il est impossible de l’excuser de la sorte.

» Puis donc que toute notre connaissance commence à partir du sens, il nous faut examiner, en ces choses sensibles qui nous entourent, comment on peut concevoir un mouvement nouveau qu’aucun autre mouvement ne précéderait. En effet, si Dieu agissait de la même manière que les agents naturels, les raisonnements du Philosophe et de ses successeurs seraient démonstratifs. Mais dès là que l’on aura reconnu les différences qui sont entre Dieu et les autres agents, tous les raisonnements que nous avons exposés apparaîtront comme des sophismes faciles à délier.

» En cette matière, en effet, trois opinions peuvent être soutenues.

» La première, qui est celle des philosophes, est que l’éternité du monde peut être démontrée.

» La seconde est celle de quelques grands théologiens ; selon cette opinion, on peut démontrer que le inonde a commencé il y a un certain temps.

» La troisième opinion est celle-ci : Le monde a commencé depuis un certain temps, mais on ne saurait démontrer ni cette proposition ni la proposition contraire ; toutefois, les raisonnements qui sont, de beaucoup, les plus difficiles à réfuter (multo difficiliores rationes) sont ceux des théologiens modernes qui prétendent démontrer que le monde n’est pas éternel.

» Afin de faire voir ce qu’ont de défectueux et de sophistiques les raisonnements des philosophes sur cette question, nous allons énumérer sept différences entre Dieu et les autres agents, attendu qu’à tout effet, sept choses semblent concourir. En tout effet, il y a à considérer : L’agent qui opère ; la force à l’aide de laquelle il opère ; l’action qu’il excerce ; la manière selon laquelle il agit ; la durée pendant laquelle il opère ; la fin à laquelle il tend ; enfin l’effet qu’il produit.

» Nous avons fait mention de la durée pendant laquelle 1 agent opère, parce que nous voulons insister de préférence sur les choses sensibles de cette sorte, et sur le mouvement dont le temps est la mesure propre ; nous voulons montrer comment un mouvement peut être innové sans qu’aucun mouvement le pré¬