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GILLES DE ROME

» C’est une si modique assimilation à la Cause première qu’en cela, ne saurait consister la félicité des intelligences. De cette façon, en effet, le feu serait heureux lorsqu’il chauffe, car, en chauffant, il joue le rôle de cause, en sorte qu’il acquiert une manière de ressemblance avec la Cause première. Je ne nie point que les intelligences trouvent leur bonheur à s’assimiler au premier Principe car cette assimilation les rend, pour ainsi dire, déiformes ; mais cette assimilation à Dieu, en laquelle réside la félicité des intelligences, elle consiste à connaître Dieu et à l’aimer ; elle ne consiste pas à lui ressembler en mouvant des corps. Nous devons donc conclure de là que les intelligences ne cesseront jamais de connaître Dieu et de l’aimer ; non point qu’elles mouvront toujours des corps. Le mouvement des corps célestes peut donc prendre fin et, en fait, il prendra fin un jour. »

Non content de montrer la fragilité des hypothèses sur lesquelles Aristote a fondé sa démonstration de l’éternité du monde, Gilles réfute quelques autres raisons que l’on a coutume d’invoquer en faveur de cette éternité. Parmi ces réfutations, il en est qui méritent une mention.

Une des raisons invoquées est celle-ci : « La nature désire toujours le mieux et y tend sans cesse. Il faut dire que la nature tend au mieux non par la connaissance qu elle en aurait en elle-même, mais par la connaissance qui réside en autrui…

» Dieu veut nécessairement son propre bien ; c’est l’objet principal de son vouloir. Or le bien créé n’accroît d’aucune façon le bien de Dieu ; ce n’est pas par les créatures que Dieu acquiert son bien ; il est absolument parfait en lui-même, alors qu’aucune créature n’existerait. Donc, à parler proprement et d’une manière absolue, Dieu ne veut d une manière nécessaire aucun bien créé…

» C’est en vue de son propre bien, cependant, que Dieu veut toutes les créatures. En effet, c’est en se voulant lui-même qu’il veut les autres choses. Mais ces autres choses, il pourrait ne pas les vouloir, bien qu’il se veuille lui-même d’une manière nécessaire… Si donc quelque bien créé est nécessaire, ce n’est pas d’une manière absolue ; c’est seulement en vertu de l’ordre et de la disposition voulus par Dieu. La génération, donc, durera nécessairement aussi longtemps que Dieu l’a disposé et ordonné. L’argument proposé est donc un argument de rhéteur ; il n est aucunement concluant. »

Un autre argument bien connu est celui-ci : Le temps na pu commencer ; on ne peut dire, en effet, avant le temps, il n’y avait pas de temps ; car le mot avant suppose un temps ;