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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

la suivante : Une intelligence se trouve en la meilleure disposition qui lui puisse convenir lorsqu’elle meut ; et comme, d’autre part, on ne doit pas, à son gré, admettre qu’une intelligence se trouve autrement qu’en sa disposition la meilleure, on ne doit point supposer d’autre intelligence qu’une intelligence motrice… De cette proposition, il résulte que le mouvement ne cessera jamais, car les intelligences, afin de persister en la disposition la meilleure, seront toujours mouvantes. Si, d’ailleurs, le mouvement céleste ne doit jamais prendre fin, le Soleil ne cessera jamais d’engendrer des plantes et des animaux ; la génération et la corruption ne feront donc jamais défaut.

» Que ni l’une ni l’autre de ces deux propositions ne soit absolument vrai, il est aisé de le rendre évident…

» Si la Cause première peut agir sans que son action présuppose quoi que ce soit, elle peut donc agir sans aucun mouvement, sans aucun changement qui précède son action… Elle pourra produire des choses nouvelles sans aucun mouvement précédent, puisque, comme on l’a montré, il n’est pas nécessaire que son action s’exerce par mouvement et transmutation.

« Cela posé, il n’est plus contradictoire d’admettre que la génération a eu un commencement… »

Que la seconde supposition d’Aristote ne soit point vraie ; que la meilleure disposition d’une intelligence ne consiste pas émouvoir un corps, Gilles le montre par diverses raisons ; en ces raisons perce même une pointe sarcastique que l’on dirait empruntée à Guillaume d’Auvergne :

« Les intelligences pourront donc cesser de mouvoir ; elles pourront ne pas mouvoir pendant une durée infinie, car leur fin n’est pas le mouvement.

» Dira-t-on que c’est le moyen par lequel elles atteignent ce qui est leur fin, car, en mouvant, elles deviennent semblables à la Cause première ; en mouvant, en effet, elles sont causes comme Elle est cause ; et c’est en cette assimilation que consiste leur bonheur[1] ? Si cette raison peut gagner l’esprit d’un homme sensé, ce sera fort étonnant.

1. On peut remarquer que les intelligences dont parle Gilles de Rome en ce passage ne sont ni celles qu’Aristote a définies ni celles qu’Avicenoe a considérées. Pour Aristote comme pour Avicenne, les intelligences sont les êtres immobiles et désirables auxquels désirent s’assimiler les moteurs conjoints aux corps des cieux ou les âmes des cieux. Ces intelligences qui meuvent les corps des cieux afin de s’assimiler à la Cause première et unique, ce sont les intelligences célestes telles que Saint Thomas d’Aquin les a conçues par une déformation du système d’Aristote (v.). T. V, p. 53g à 5^9 et suiv.

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