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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

fèrent à la matière des propriétés communes à tous les éléments et à tous les mixtes.

Toutefois, pour demeurer fidèle à la doctrine péripatéticienne qui ne veut, en une substance unique, reconnaître qu’une seule forme substantielle, Gilles donne le nom de formes accidentelles à ces formes immédiatement adhérentes à la matière. Par là, il conforme son langage à celui du Péripatétisme ; mais, sous cet accord des mots, quelle contradiction entre les pensées !

Selon l’Aristotélisme, toute forme accidentelle s’unit non pas directement à une matière première toute nue, mais à la matière première déjà informée par la forme substantielle ; ce principe est même, pour Averroès, une définition ; par définition, une forme accidentelle, c’est une forme qui perfectionne le composé formé par la matière première et par une première forme ; celle-ci est, par définition, la forme substantielle ; en sorte que, pour Averroès, cette proposition : il n’y a, en une substance, qu’une seule forme substantielle, est évidente par définition.

Comme ces notions se trouvent bouleversées par Gilles de Rome ! La forme accidentelle n’est plus, par définition, celle qui achève une matière déjà actualisée par la forme substantielle ; c’est la forme substantielle, au contraire, qui ne saurait s’unir à la matière, avant que celle-ci n’ait été disposée par certaines formes accidentelles, avant qu’elle n’ait reçu de ces dernières les propriétés accidentelles qui lui sont inhérentes, comme l’étendue, la densité et la pesanteur.

Ainsi, en retournant en tout sens la doctrine Aristotélicienne, la Scolastique la disloquait peu à peu ; à force de limer et polir cette philosophie, elle la réduisait en poudre.


B. L’éternité du monde.


La foi enseigne que le monde n’a pas existé de toute éternité, qu’il a eu commencement, que, pour lui, la non-existence a précédé l’existence. La Philosophie peut-elle démontrer cette proposition, comme le prétend Henri de Gand ? Nous laisse-t-elle, comme le veut Thomas d’Aquin, dans l’incertitude entre cette proposition et la proposition contraire, qui affirme l’éternité du monde ? A-t-elle, enfin, comme l’assure Siger de Brabant, des démonstrations convaincantes en faveur de l’éternité du monde, que nie le dogme chrétien ?

Nous ne voyons pas qu’en ses discussions quodlibétiques, Gilles de Rome ait eu occasion de prendre parti en ce grave débat. En