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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

position, c’est condamner toute la Philosophie de Thomas d’Aquin.

Albert la rejette ; c’est une proposition contraire à la véritable nature du corps du Seigneur : « Hoc dictum contra rationem est corpusis Domini. » Comment va-t-il s’y prendre pour la réfuter ?

Tandis que le corps de Jésus-Christ gisait, inanimé, dans le sépulcre, le corps et l’âme, séparés l’un de l’autre, demeuraient tous deux unis à la personne du Fils de Dieu ; « dans le sépulcre, donc, le corps a retenu l’âme par la puissance de la divinité. … Ce corps est demeuré numériquement le même qu’avant la mort, non pas tout simplement, car, d’une certaine manière, il était dîHérent. Idem numero secundum esse corporis, non simpliciter, sed modo quodam fuit aliud et aliud. » Le malheureux Albert retombe ainsi, très exactement, sur la proposition qu’il prétendait repousser ; et il fallait bien qu’il en fut ainsi, puisque l’argument qu’il invoquait contre cette thèse est précisément celui dont Thomas d’Aquin avait usé pour l’établir.

Bien qn Albert ait jugé fausse cette proposition tirée de l’enseignement de son élève Thomas d’Aquin, l’autorité ecclésiastique ne la condamna pas ; elle ne condamna pas non plus la dernière des thèses que frère Gilles avait relevées et qui, comme la précédente. se rattachait aux doctrines thomistes[1]. Les treize premières thèses, au contraire, furent solennellement censurées.

Le 10 décembre 1270, à Paris, le décret suivant était porté par Étienne Tempier, évêque de Paris[2] : « Les erreurs suivantes ont été condamnées et excommuniées, ainsi que tous ceux qui les auront enseignées sciemment et soutenues, par Monseigneur Étienne, évêque de Paris, l’an du Seigneur 1270, le mercredi après la fête d’hiver du bienheureux Nicolas :

» 1o Il n’y a numériquement qu’une seule et même intelligence pour tous les hommes.

» 2o Il est faux ou impropre de dire que c’est l’homme qui comprend.

» 3o C’est d’une manière nécessaire que la volonté de l’homme veut et choisit.

» 4o Tout ce qui se passe dans le Monde inférieur est soumis à l’action nécessitante des corps célestes.

» 5o Le Monde est éternel.

» 6o Il n’y a jamais eu de premier homme.

1. P. Mandonnet, Op. laud., Première partie, p. 107,

2. IL Denefle et h. Châtelain, (Uiartularium Untoersilalis Parisiensis, pièce n° 4^2 ; toinus 1, pp. 486-/487. P. Mandonnet, Op. laud., Première partie, pp. IIO-II2.

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