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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

l’intelligence humaine ébranleront par contre-coup les doctrines admises touchant les moteurs célestes.

Une autre remarque vaut, peut-être, d’être signalée. Aussitôt après le passage que nous venons de citer, Albert résume la doctrine d’Avicébron. Il rappelle comment cet auteur distingue trois matières, celle que détermine la première forme substantielle, celle que détermine la première forme corporelle, enfin celle que détermine la corporéité. « Cet auteur dit également que la première forme est l’intelligence ou forme intellectuelle ; les substances intellectuelles et les âmes proviennent de la subdivision de celte forme ; la grandeur impose une détermination à la matière des corps célestes ; enfin, c’est la contrariété qui détermine la matière des corps susceptibles de génération et de corruption. Suivant cette théorie, il est évident que toute nature intellectuelle, selon qu’elle est reçue en celui-ci ou en celui-là, est singulière. »

Des vives critiques dirigées par Thomas d’Aquin contre la doctrine d’Avicébron, Albert le Grand ne parait pas se soucier ; les dangers que le Péripatétisme averroïste fait courir à la loi assurent un regain de faveur aux hypothèses du Philosophe juif ; au contraire, les théories de Saint Thomas, plus voisines du Péripatétisme, ne sont point sans inquiéter les catholiques ; les Averroïstes ne se font point faute d’en tirer des conclusions malsonnantes ; telle cette proposition que frère Gilles soumet au jugement d’Albert le Grand[1] : « Quod corpus Christi, jacens in sepulchro, et positum in cruce, non est, vel non idem fuit numero semper, sed secundum quid. »

Cette proposition se pouvait lire textuellement en un quodlibet[2] que Saint Thomas d’Aquin avait discuté au temps de Noël de l’année 1’269 ; deux autres discussions quodlibetiques, tenues en l’année 1270, aux époques de Noël et de Pâques, reprenaient la même affirmation1[3].

Cette affirmation tenait d’ailleurs par les liens les plus étroits aux thèses essentielles du Thomisme, à la théorie du principe d’individuation, à l’axiome selon lequel, en un être vraiment un, ne sauraient coexister deux formes substantielles. Rejeter cette pro¬

1. Albbrti Magni /Je yMinrfecZm proôZeznaZ/ôus, XIV ; I Mandonnet, Op. laud., Seconde partie, p. 51.

2. Sancti Thdmæ Aquinatis Qaodlibvtales quæstiones Quodlib. II, art. I : Utrum Christus in trîduo mortis fuerit idem botno in numéro.

3. Sangti Thdmæ AquinatïE O/h Quodlib. ïli, art. IV : Utrum oculus Christi post mortem dicatur æquivoce ocuIub vel uni voce. — Quodlib. IV, art. VIH : Ulrtim ait anum numéro corpus Christi affixum cruel vel jacens in sepulcbro.

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