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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

de l’avis de Godefroid ; les uns n’admettaient jamais plus d’une forme substantielle en un composé individuel, ce composé fût-il un homme ; les autres recevaient plusieurs formes substantielles tout au moins en tout être animé ; seuls, « quelques maîtres peu nombreux[1] ne mettaient qu’en l’homme plusieurs formes substantielles ».

Si Henri s’est vu contraint de prendre cette allure inconséquente, c’est que la thèse de l’unité de la forme substantielle, vers laquelle l’entraînait toute sa théorie, ne pouvait éviter ce corollaire : Le cadavre de Jésus-Christ n’est pas absolument et numériquement le même corps que le corps vivant du Christ. Or, cette proposition, il la jugeait erronée en la foi.

De cela, nous l’avons vu, Godefroid ne se croit nullement assuré. Le corps vivant du Christ et le cadavre du Christ sont-ils appelés corps d’une manière univoque ou d’une manière équivoque ? Il tient la question pour douteuse et, donc, l’opinion pour libre.

Lors même qu’elle ne le serait plus, lors même que l’autorité religieuse aurait formellement décidé le point de foi et l’aurait décidé dans le sens indiqué par Henri de Gand, ce n’est pas la théorie philosophique de ce maître qui donnerait satisfaction à Godefroid.

Voici, en effet, une proposition qui semble, à celui-ci, entièrement certaine[2] : « Qu’il y ait en l’homme une seule forme substantielle ou qu’il y en ait plusieurs, on doit tenir, ce semble, que le cadavre du Christ et le cadavre de Pierre sont corps dans le même sons du mot (univoce). »

Or, cette proposition n’est point vraie en la théorie d’Henri de Gand. Si le corps vivant du Christ et le cadavre du Christ sont corps au même sens du mot, sont numériquement le même corps, c’est par une action surnaturelle, c’est parce que l’àme séparée du corps et le corps inanimé demeurent, tous deux, hypostatiquement unis à la personne divine du Fils de Dieu. Pour tout homme autre que l’Homme-Dieu, cette action surnaturelle cesse de se produire ; donc, tandis que le cadavre de Jésus-Christ est numériquement identique au corps de Jésus-Christ vivant, le cadavre de Pierre n’est plus, d’une manière absolue, le même corps que le corps animé de Pierre.

Si une telle théorie évite, au sujet du corps de Jésus-Christ, les

1. Godefroid de Fontaines, loc. cit., p. 199.

2. Godefroid de Fontaines, loc. cit., p. 201.

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