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GODEFROID DE FONTAINES

pas un pur non-être, un néant, mais qui a le minimum d’être ; aussi dit-on que la matière est proche du néant. Or l’être se divise en acte et puissance, c’est-à-dire en existence en acte, qui est l’existence absolue, et existence en puissance, qui est une existence relative (secundum quid). Dès lors, puisque la matière n’est pas un être absolu, un être en acte, elle est seulement un être en puissance…

» La matière apporte donc, en la nature des choses, une certaine réalité, une certaine entité ; néanmoins, elle est ainsi faite et conditionnée qu’elle ne saurait, eu elle-même et pour son propre compte, exister parmi les choses de la nature. »

De cet axiome : La matière première est pure puissance, Godelroid, contre Henri de Gand et contre Richard de Middleton, tire ce corollaire : La matière première est absolument la même en tous les êtres où elle se rencontre, c’est-à-dire en tous les êtres soumis à la génération et à la corruption, puisque ceux-là seuls, au gré de Godefroid, ont une véritable matière.

La matière première, « c’est[1] la pure puissance à l’existence absolue (esse simpliciter), c’est-à-dire à l’existence que confère une forme substantielle quelconque ; elle n’implique donc rien qui la destine à telle forme substantielle plutôt qu’à telle autre ; il faudrait, en effet, que ce qui la déterminerait de la sorte lût déjà quelque chose d’actuel ; car si c’était une chose purement potentielle, on pourrait répéter à son sujet cc qui vient d’être dit de la matière.

» On ne peut pas dire, non plus, qu’une matière se distingue par elle-même d’une autre matière ; car c’est la forme seule qui détermine les distinctions essentielles tandis que la quantité marque les distinctions accidentelles.

» Ainsi donc qu’au sein du pur néant, on ne peut marquer aucune distinction, de même en l’être purement potentiel, qui ne possède par lui-même aucune actualité, il est impossible d’établir aucune distinction, et cela parce que la matière ou la pure puissance, tout comme le non-être, ne possède rien qui soit actuel ; elle possède, il est vrai, une certaine entité potentielle, mais elle n’a aucune actualité d’où puisse provenir une distinction essentielle.

» Déclarer, donc, que telle matière est plus noble et plus actuelle que telle autre, c’est ne rien dire du tout ; car là où,

  1. Godefroid de Fontaines Op. laud. Quodlib. III, quæst. III, édit. cit., pp. 182-183.