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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

différente de l’essence, mais qu’elle en diffère seulement suivant la raison ou suivant l’intention ».

Plus tard, il s’enhardit : « Certains se croient tenus de dire, écrit-il alors[1], que l’existence est chose réellement différente de l’essence, qu’elle est l’actualité de l’essence comme la forme est l’actualité de la matière. De même que la matière est, de soi, également en puissance de la forme et de la privation, de cette forme, de même l’essence, en ce qui la concerne, est en puissance de l’existence et de la privation d’existence… Partant, de même que la puissance de la matière ne peut cire mise eu acte que par quelque chose qui s’y ajoute et qui est la forme, de même la puissance de l’essence ne peut être amenée à l’acte que par quelque chose qui s’y ajoute, et qui est l’existence. L’existence diffère donc de l’essence comme la forme diffère de la matière.

» Si, en effet, un être qui n’est pas composé de matière et de forme et qui n’est pas amené à l’existence par génération, mais qui est un être simple en son essence et amené à l’être par création, si cet être, disons-nous, n’était point tel qu’il y eût nécessairement eu lui une chose qu’il a reçue de sa cause créatrice, cet être serait acte pur et existence pure, il serait à lui-même sa prosoi nécessaire…

» En dépit de ces raisons et d’autres analogues, il parait plus exact de dire (verius videtur dicendum) que l’essence et l’existence ne sont point réellement différentes. En raison de la production d’une chose, production par laquelle cette chose peut recevoir l’existence, il n’est point nécessaire d’admettre que l’existence vient se composer avec la chose même ou avec l’essence de cette chose comme certains se croient tenus de le dire. »

C’est en ces termes fort sommaires que Godefroid passe condamnation sur l’opinion qui fut celle d’Avicenne et d’Al Gazâli, mais qui fut aussi celle de Saint Thomas.

D’ailleurs, s’il condamne cetteopinion, ce n’est pas pour admettre celle d’Henri de Gand ; s’il rejette, entre l’essence et l’existence, toute distinction réelle, ce n’est pas pour y mettre une distinction d’intention ; le jugement qui efface l’une lui parait également propre à effacer l’autre, car, aux paroles que nous venons de rapporter, il ajoute : « A cette raison se ramène presque toutes les raisons par lesquelles on prouve qu’il y a, entre l’essence et l’existence, soit

1. Godefroid de Fontaines, Op. laud., Quodlib. III, quæst. I ; éd « cit., pp. i58-i6o.

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