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GODEFROID DE FONTAINES

que tous les orbes seront revenus au même signe et au même degré où ils se trouvent maintenant, tout ce qui existe, aussi bien dans le monde supérieur que dans le monde inférieur reviendra au même état ; alors aussi, selon ce cours purement naturel, ces mêmes Ames qui, aujourd’hui, animent nos corps, auraient à animer les mêmes corps ou, tout au moins, des corps entièrement conformes à ceux-là. De cette manière, il pourrait y avoir des Ames qui seraient en nombre (lui, une circulation qui se poursuivrait à l’infini ; et cette circulation ne serait point semblable à celle qu’imaginent les fables pythagoriciennes. Au onzième livre de la Cité de Dieu, Saint Augustin ne semble point avoir, pour rejeter la circulation des Ames, d’autre raison que l’alternative de félicité et de malheur qui en résulterait pour elles. Si donc on admettait que les âmes sont seulement ordonnées en vue de leur perfection naturelle, on ne trouverait aucune raison efficace pour improuver une circulation de cette sorte. » — À condition, eût justement objecté Origène, que le libre arbitre ne fût point compris en la perfection naturelle de ces Ames.

On met volontiers Godefroid de Fontaines au nombre des Thomistes ; c’est donner à Saint Thomas d’Aquin un disciple dont il eut nettement rejeté les doctrines.

Saint Thomas d’Aquin avait, lui aussi, soutenu que Dieu aurait pu créer le monde de toute éternité[1] ; lui aussi, il avait rencontré diverses objections dont « la plus difficile » était celle que l’on lirait de la multitude infinie des Ames ; mais, parmi les solutions qu’il avait proposées, il n’avait même pas mentionné la théorie, si étrangement païenne, de la métempsychose et de la grande année. Plutôt que d’en être réduit à admettre une telle doctrine, il aimait mieux révoquer en doute l’un des dogmes essentiels du Péripatétisme : « En outre, écrivait-il, il n’est pas démontré que Dieu ne puisse pas faire qu’il y ait des infinis en acte. « Præterea adhuc non est démonstratum quod Deus non possit facere ut sint infinita actu. »


B. L’essence et l’existence.


Si l’on veut désigner le maitre dont Godefroid suit la trace, ce n’est pas le nom de Thomas d’Aquin qu’il faut prononcer, mais bien celui de Siger de Brabant ; nous en aurons la certitude en examinant ce que Godefroid dit de l’essence et de 1 existence.

  1. S. Thomæ Aquinatis De æternitate mundi contra murmurantes.