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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

« De toute éternité[1], Dieu a pu faire le monde ou ne le pas faire ; de toute éternité, ont coexisté en Dieu le pouvoir de créer et le pouvoir de ne pas créer, le pouvoir de se déterminer à créer ou de se déterminer à ne pas créer ou, en d’autres termes, de choisir s il voulait créer ou s’il voulait ne pas créer. Lors même que le monde eût été de toute éternité, Dieu, cependant, eût toujours pu le faire ou ne le pas faire, se déterminer à le faire ou à ne le pas faire ou, en d’autres termes, choisir s’il voulait le faire ou ne le pas faire. C’est librement qu’il se serait, de toute éternité, déterminé à le faire et c’est librement qu’il l’eut fait ; c’est-à-dire que le inonde eût, de toute éternité, tenu son existence de la libre volonté de Dieu, niais cela de telle manière, qu’à parler d’une manière absolue, il eût pu, par la même libre volonté, ne pas recevoir l’existence. »

La thèse de l’éternité du monde qui ne va guère, en l’esprit des philosophes de l’antiquité et du moyen âge, sans la thèse de l’éternité de l’espèce humaine, se heurte à cette objection : Les âmes immortelles des hommes doivent, si l’espèce humaine a existé de toute éternité, former une multitude actuellement infinie ; or, le Péripatétisme regarde comme contradictoire le nombre infini actuel.

À cette objection, les philosophes antiques échappaient par la doctrine de la nié te m psychose ; un nombre fini d’âmes immortelles suffisait à une espèce humaine éternelle, car le retour périodique du terme de la grande année ramenait les mêmes âmes dans les mêmes corps.

Cette solution, Godefroid la tient assurément pour contraire au dogme révélé, mais elle ne lui paraît pas philosophiquement absurde. « Au sujet de la question de l’infinité des âmes, écrit-il[2], voici ce qu’il faut dire : Selon le cours actuel des choses, étant donné que l’homme est fait pour être béatifié en son âme et en son corps, il est clair que le monde n’a pu exister de toute éternité. S’il est vrai qu’on ne pourrait, selon l’ordre actuel des choses, admettre qu’il y a eu des hommes de toute éternité, on pourrait toutefois, à parler d’une manière absolue, admettre cette supposition, et admettre en même temps qu’il existe seulement un nombre fini d âmes ; ces âmes suffiraient à tous les hommes qui naissent pendant la durée de certaines révolutions déterminées des orbes célestes ; on ferait, en effet, l’hypothèse suivante : Lors-

1. Godefroid de Fontaines, loc. cit., p. 76.

2. Godefroid de Fontaines, loc. cit., p. 79.

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